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phes, composé par Thiodolfr pour le roi Harald. On retrouve des traces évidentes des scaldes dans la Knytlinga, l’Orkneyinga, la Kormaks saga, et quelquefois ces fragmens, empruntés aux poètes primitifs de l’Islande, servent à déterminer une date ou un fait. Autrefois on peignait les sagas sur les murailles des maisons, on les brodait sur les tapisseries, on les gravait sur le bois et sur l’acier. Les Islandais portaient, comme les Grecs sur leur armure, le souvenir de leur gloire nationale et de leurs héros. Le jarl Hakon donna à Einar un bouclier sur lequel étaient tracés des passages de sagas, et entre les différentes lignes écrites il y avait des lames d’or et des pierres précieuses[1]. Olaf le saint conduisit un jour le scalde Thorfin dans une chambre richement décorée, et lui dit de chanter les diverses scènes représentées sur la tapisserie. Thorfin jeta les yeux autour de lui, et reconnut l’histoire de Sigurd. Il improvisa sur le héros une strophe qui nous a été conservée. Une autre tradition rapporte que, vers la fin du xe siècle, un riche Islandais, nommé Paa, fit peindre plusieurs sagas sur les murailles de sa salle à manger. Les Islandais avaient anciennement pour les ouvrages de patience la même aptitude qui les distingue encore aujourd’hui. Ils se plaisaient à orner leurs meubles de sculptures. Ils gravaient sur le pommeau de leur glaive, sur le cimier de leur casque, sur la proue de leur bateau, l’image d’un de leurs guerriers, le nom d’une de leurs grandes batailles. Ainsi, leur histoire se représentait à eux à tout instant et sous toutes les formes. Ils la perpétuaient par le burin et par la parole. Mais tandis qu’ils s’attachaient à conserver leurs souvenirs nationaux, les autres peuples du Nord oubliaient qu’une même origine devait leur faire aimer les mêmes monumens, et les sagas, recueillies en Islande avec tant de soin, demeurèrent long-temps ignorées ou méconnues dans les autres états de la vieille Scandinavie. L’école savante des xvie et xviie siècles, que l’on pourrait appeler l’école grecque et latine, tenait plus à quelques lignes de Démosthènes, à une page de Cicéron, qu’à des volumes entiers écrits en langue moderne.

Le premier qui révéla toute l’importance des anciens monumens littéraires du Nord, c’est Ole Worm, l’auteur du livre sur les runes ; puis vint Torfesen[2] avec son histoire de Danemarck et de Norwége, et Bartholin, et Suhm, et dans les derniers temps Geyer, l’historien de la Suède. Mais il est un homme qui s’est acquis des droits éternels à la reconnais-

  1. Hon van srkifadr forn-sœgum. Enn allt milli skriptann voru lagdar ifir speingur af gulli ok settr steinum. Egils saga, p. 698.
  2. Tous ces écrivains sont plus connus sous leur nom latinisé : Olaus Vormius, Torfœus, etc. Il en est de même de Magnussen, que l’on nomme presque toujours Arnas Magnœus.