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LETTRES SUR L’ISLANDE.

gonie. Ils se rappelaient que leur terre avait été formée avec les membres d’un géant, et que, dès le jour de la création, les nains habitaient dans le flanc des montagnes. Ils croient aussi aux prédictions et à la magie. Dans la Fœreyinga saga, Thrandr, pour reconnaître les meurtriers de Sigmund et de ses deux compagnons, allume un grand feu et fait apparaître successivement les cadavres des trois victimes. Dans une autre saga, une femme change en ours l’homme qui n’a pas voulu répondre à son amour ; des nains fabriquent un arc merveilleux, et une fée donne à Oddr une armure avec laquelle il est à l’abri du fer, du feu, de l’eau.

Du reste, les mœurs décrites dans ces vieilles traditions ne présentent qu’un tableau grossier et quelquefois hideux. Souvent la maison du pirate islandais est souillée par l’adultère et par l’inceste. L’étranger qui y est reçu et qui y reste quelques mois séduit la fille de son hôte, et le père ne montre ni colère ni surprise. Les hommes de guerre passent à boire tout le temps qu’ils ne passent pas à combattre ; ils se portent des défis avec la large corne pleine de bière ou d’hydromel, et chantent leurs exploits jusqu’à ce que l’ivresse les endorme. Les lois du Thing permettent le meurtre et l’incendie moyennant une certaine amende. Les princes entretiennent à leur cour des hommes qui portent le nom de berserkir, et dont ils se servent pour vider leurs querelles et assouvir leurs vengeances. Ces berserkir sont de vrais bravi audacieux et terribles, aussi habiles à manier le poignard qu’à lancer le javelot, et se jouant de la vie des autres et de leur propre vie. Le guerrier islandais, fier de son indépendance, n’a pour ces seïdes de prince que de la haine et du mépris ; partout où il les rencontre, il les attaque et les poursuit à toute outrance. Une saga raconte que, dans un de ces combats des berserkir contre les Islandais, la terre, ébranlée par leurs coups d’épée, tremblait comme si elle eût été suspendue à un fil.

Quelques sagas, telles que le Kristni, l’Eyrbyggia, la Hungurvaka, la Nial, la Sturlunga saga, peuvent être regardées comme des documens authentiques. La Sturlunga saga est une histoire toute nationale, l’histoire de cette fière aristocratie qui étendit son sceptre sur l’île entière, l’histoire de ces trois puissantes familles des Sturles que l’ambition divisa, qui désolèrent le pays par leurs longues guerres, et anéantirent eux-mêmes leur pouvoir. C’est une tradition véritable, racontée sans prétention, dépeignant bien le pays, les personnages, l’époque, et représen-

    vaincre les géans, et non-seulement ils étendirent leur domination sur tout le pays, mais ils devinrent dieux. Les troisièmes étaient un mélange des deux premières races, mais ils ne pouvaient se comparer ni aux géans pour la puissance physique, ni aux seconds pour la science magique. » (Histoire de Danemarck, liv. i.)