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des lieux qu’elles signalent. La plupart ont tout-à-fait le caractère héroïque, et, sous ce rapport, peuvent être mises à côté des ballades anglaises, des chants de guerre suédois et danois, du Heldenbuch et du poème anglo-saxon de Beowulf. Les personnages qui y figurent ne sont, il est vrai, ni des chevaliers galans, comme ceux de Boiardo et de l’Arioste, ni des pourfendeurs d’hommes, comme les douze pairs de France, ni des êtres entourés de mysticisme et de féerie, comme les frères d’armes de la Table-Ronde. On n’entend parler dans ces sagas ni de tournois, ni d’écharpes brodées ; on n’y voit point de balcon de marbre et point de châtelaine pleurant dans sa tourelle. Les hommes, quand ils sont ensemble, ne s’occupent guère d’amour, et les femmes ne songent pas à leur donner une devise. Ce sont de rudes peintures et de rudes caractères. L’Islandais quitte sa demeure au commencement du printemps. Il s’embarque sur un frêle bateau, avec tous ceux qui veulent le suivre, et s’élance sur les flots au hasard. S’il trouve le long de sa route un bâtiment étranger, il le harponne comme une baleine et l’attire à lui ; le combat s’engage, les dards acérés pleuvent de part et d’autre, le glaive brille, chefs et soldats se prennent corps à corps, et les boucliers de fer se brisent, et le sang inonde le navire. Le plus fort emporte les dépouilles de son adversaire, et célèbre son triomphe avec des chants enthousiastes et des libations bachiques. Si deux guerriers se rencontrent et s’attaquent sans pouvoir se vaincre, après avoir combattu tout le jour, ils jettent bas les armes, se tendent la main, et se jurent fidélité. Puis ils passent sur le même navire et s’en vont chercher ensemble des aventures. S’ils arrivent sur la côte, ils amarrent leur bateau à une pointe de rocher, descendent à terre, pillent, brûlent, massacrent, et s’en reviennent joyeusement avec tout ce qu’ils ont amassé. Ce sont des pirates, mais des pirates plus avides de combats que de pillage, plus fiers des blessures qu’ils ont faites que des trésors qu’ils ont conquis. Dans tous leurs chants, ils célèbrent la guerre, ils idéalisent le courage et la force physique. La saga les représente avec huit mains[1], comme les dieux de l’Inde, et frappant à la fois huit coups d’épée. Ils sont si grands et si robustes, qu’un cheval ne saurait les porter, et ils ont presque tous un bouclier magique fabriqué par les nains, et une épée qui coupe l’acier comme de la toile[2]. Quand ils ont mené pendant de longues années cette vie d’aventures, ils rentrent chez eux, et gouvernent paisiblement leur ferme. Leur souvenir reste, leurs exploits retentissent de toutes parts, et l’Islandais qui vient à l’Althing dit à ses voisins : « Montrez-moi donc cet homme dont le nom est

  1. Hervarar saga.
  2. Hervarar saga.