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sique, etc., etc. Au point de vue de l’enseignement, cela est vrai ; pour ceux qui n’ont pas un talent d’écrire spécial, une inspiration originale de poète ou de prosateur, ces préceptes sont justes : c’est là un fonds solide, où le plus ou moins de succès n’amène pas de chute. Mais ne posez pas les limites, ne criez pas contre l’exception ; car de l’exception seule naîtra le talent, le génie. L’écrivain original se formera en dehors de vos préceptes, et il est probable qu’il commencera par les violer. Son début sera loin de votre centre ; ces littératures étrangères, que vous proscrivez si strictement, l’auront peut-être tout d’abord sollicité et nourri ; il en reviendra avec le rameau en main, que bientôt il saura greffer. L’exception a presque toujours été, et dans des temps mêlés comme les nôtres, elle est plus que jamais la ressource des littératures, en ce qu’elles offriront d’éminent. En prêchant votre tradition stricte, en l’appuyant surtout d’exemples et de détails plus féconds, vous empêcherez quelques défauts dans d’estimables esprits ; vous les empêcherez, s’il se peut, de porter dans des genres sérieux et sobres, philosophie, histoire, etc., la recherche de qualités étrangères au genre et à leur esprit même. C’est bien, et cela vaut la peine d’être pratiqué. Mais ce sera toujours malgré vous, indépendamment de vous, que l’homme de talent nouveau, ce rebelle long-temps hors des murs, se formera. Quand il aura triomphé, les critiques expliqueront comme quoi en effet, dans son imprévu même, il avait des points communs avec ses grands prédécesseurs ; mais les critiques réguliers et restrictifs auront surtout vu, à son début, les différences.


Sainte-Beuve.