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ÉCRIVAINS CRITIQUES CONTEMPORAINS.

tendue et prend de l’haleine. Mais il s’en autorise pour rapetisser étrangement ce qui ne va pas à sa marche et à son dessein. André Chénier, à qui il accorde le miel de l’Hymette, n’est pour lui qu’un jeune poète, auquel on a fait le tort de le mal admirer : répétition encore (en diminutif) du rôle de M. de Buffon, de l’homme de la prose, qui s’applaudit de pouvoir dire : Cela est beau comme de la belle prose !

Les articles sur Bernardin de Saint-Pierre et sur M. de Châteaubriand sont développés, et celui de Bernardin me semble excellent. Quant à M. de Châteaubriand, le critique le confisque, en quelque sorte, dans son idée, dans son système de style traditionnel ; il dissimule le plus qu’il peut toute la part de l’innovation chez l’auteur d’Atala, et enveloppe deux ou trois remarques, qu’il faut bien faire, dans un triple cercle de circonvolutions oratoires. Il oublie que les Mémoires d’Outre-Tombe, ce monument d’ordre composite, où tous les styles se fondent, où il y a innovation et rénovation de langage en même temps sans doute que tradition, et dont le titre seul est déjà une audace, donneront un complet démenti à cette théorie qui tend à nous renfermer dans une charte de style légitime, et à échafauder, à partir de M. de Châteaubriand, une barrière infranchissable, comme, avant lui, on en posait après Jean-Jacques et Bernardin. Nous avions cru toujours que c’était rendre plus d’hommage au grand style de Chactas, que de l’admirer plus librement.

Si quelque chose pouvait nous faire apporter quelque réserve à l’admiration, à l’estime que nous inspirent certains écrivains de nos jours, énergiques et simples, ce serait la manière, j’oserai dire fastueuse, avec laquelle M. Nisard a coutume de les louer. Toujours adjudication expresse à sa cause, et ajustement à son système !

Pour faire à la théorie de M. Nisard tout la part qui est due, je dirai : Il est hors de doute que, comme conseil littéraire général à donner à des individus quelconques bien élevés, de bon esprit, de bonnes études, il faut leur dire : Écrivez en prose plutôt qu’en vers ; écrivez, tâchez d’écrire dans la forme sévère de Buffon, de Jean-Jacques, plutôt que de vous hasarder à l’imitation de Saint-Simon, ou de Mme de Sévigné même, ou de Montaigne, plutôt surtout que de vous jeter dans le style métaphorique, métaphy-