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ÉCRIVAINS CRITIQUES CONTEMPORAINS.

s’est si bien créé l’avocat des grands siècles et si fermement posé sur le terrain de la tradition, qu’il vous convie à lui et à ses cliens illustres d’un seul et même appel. Si vos opinions lui semblent se rapprocher des siennes, il vous en félicite ; si vous avez parlé avec chaleur du bon goût, il vous remercie. De grandes et réelles qualités sont compatibles avec ce défaut qui n’est pas si nuisible au succès, quand il est surtout appuyé du fond. On a dit de quelqu’un : il a toutes les vertus qu’il affecte. M. Nisard, après tout, ne met en dehors et sur sa devanture que beaucoup des qualités qu’il a. Une des choses qu’on apprend le mieux en profitant de l’expérience, c’est le mélange en tout, le faux et le vrai, le bon et le mauvais se rencontrant, se contredisant, et pourtant… étant, comme dirait La Fontaine : dans un individu, un défaut radical n’empêchant pas de grandes qualités et de vrais talens en lui à côté, au sein de ce défaut, et ces grands talens ou ce génie n’empêchant pas le défaut de revenir les gâter et y faire tache : c’est là l’homme et la vie. Pour nous en tenir à M. Nisard, il a de plus en plus, en effet, accru ses qualités sérieuses, ses connaissances diverses ; il prend intérêt à toutes sortes de choses, peinture, machines, histoire, etc., et y porte une expression abondante, redondante quelquefois, mais facile, claire, sensée, une foule d’observations morales qui plaisent à beaucoup d’esprits modérés et distingués, qui enchantent beaucoup d’esprits solides, qui ne satisfont peut-être pas toujours au même degré quelques délicats, subtils et dédaigneux. Mais il passe outre et s’en inquiète peu à bon droit. Au milieu de toute son apparence et de sa réalité de sens et de raison, il a bien, il est vrai, du convenu, des opinions qui ne sont pas nées en lui dans leur originalité ; il a, dans ses développemens, des habitudes littéraires qui font que la phrase domine un peu et amplifie et achève parfois l’idée. Lui qui s’élève contre le vernis poétique, il en a plus d’une fausse veine colorée dans ses descriptions. Chez lui, non plus, tout n’est pas fleur de froment dans sa mouture. Dans le milieu de son style, il y a de ces phrases, de ces paragraphes entiers qui me font l’effet des compagnies du centre au complet, défilant dans une revue, bonnes troupes, si l’on veut, mais peu distinctes, un peu

    quand le journal est au pouvoir, l’écrivain anonyme parle tout naturellement au nom de la pensée d’état.