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compétens ont donnés à l’ouvrage de M. Nisard, ils n’ont pu s’empêcher de relever la sévérité extrême de l’auteur à l’égard des poètes qu’il examine. C’est que M. Nisard, après être entré dans son sujet sans trop de parti pris peut-être, et avec l’idée de peindre surtout les mœurs romaines par les poètes, est vite arrivé à concevoir que ce cadre était tout naturellement ouvert à une protestation motivée contre le goût et les prétentions d’une école qu’il craignait d’avoir d’abord servie, et qu’il jugeait sage de répudier. On s’attache d’ordinaire à son sujet, on y prend goût, on y porte amour et indulgence : ici c’est le contraire. L’auteur devient plus sévère à mesure qu’il avance, et plus dégoûté dans son blâme. Je n’en fais pas un reproche à M. Nisard ; mais je remarque ce genre d’inspiration, et j’en eusse mieux aimé une autre : la sienne annonce sans doute un esprit qui a plus de tenue, et qui est plus en garde contre l’engouement et la faiblesse. Les rapports qu’en son second volume, et à propos de Lucain, il établit entre les diverses poésies du second et du troisième âge des littératures, me semblent justes et constans. Oui, après la génération grandiose et un peu rude des Lucrèce, des Corneille, arrive d’ordinaire la génération épurée, accomplie, solide et fine et suave, des Virgile, des Horace et des Racine. De là jusqu’à Ausone ou Delille, il y a bien des degrés que l’ensemble d’une poésie parcourt comme fatalement. Mais sous cette fatalité générale (et toute réserve faite des causes qui peuvent introduire plus d’une différence essentielle dans le parallèle entre les anciens et nous), il y a encore place pour les exceptions, pour les individus qui luttent, pour les hommes de talent qui cherchent à sauver l’œuvre de la dureté des temps et de la difficulté croissante. Venir reprocher outre mesure aux poètes de la décadence ce qui tient à la date de leur venue, s’en prévaloir exorbitamment contre eux pour les déclarer chétifs et médiocres, non-seulement d’œuvres, mais aussi d’esprit et de talent (et M. Nisard l’a fait pour quelques-uns, pour Perse par exemple), c’est être inexorable comme le hasard et le succès, c’est vouloir même être plus sévère que la plus ingrate fortune, bien loin de profiter de tous les droits bienveillans d’une critique attentive et pénétrante. Il y a dans Stace que M. Nisard traite fort mal, sans aucun adoucissement, et à propos de qui il fait une description spirituelle et chargée de la Pleïade romaine, satire directe