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ÉCRIVAINS CRITIQUES CONTEMPORAINS.

quent, je n’en suis pas du tout. Ceci soit dit pour les personnes qui, parce qu’on modifie son opinion sincèrement sur quelques points, sont si prêtes, dans leur jeune ardeur, à faire de vous des gens qui abjurent et des réactionnaires. Quand ces personnes de talent brillant et d’imagination vive nous développent des vues générales et des synthèses sur le passé, comment veulent-elles qu’on ne doute pas un peu de la réalité de l’idée, quand on les sait se tromper si à bout portant dans les coalitions qu’elles s’imaginent voir éclore sous leurs propres yeux ?

Quoi qu’il en soit, il y a tout un côté vrai et fondé dans le rôle de M. Nisard, et il était homme à en faire valoir les avantages. Les qualités qu’il possède en effet, instruction, dignité, conscience, honnêteté, il sait les mettre en dehors dans ses écrits, et ne les laisse pas à deviner. À l’appui de son livre sur les poètes latins, qui n’a pas été assez lu dans le sens juste où il l’avait écrit, et comme démonstration accessoire, il a exprimé directement sa pensée sur toute une classe d’écrivains modernes par son manifeste contre ce qu’il a appelé la littérature facile. Dans sa polémique avec M. Janin, chacun d’eux a triomphé à sa manière ; mais la position de M. Nisard en a été désormais bien dessinée ; tous ses travaux, depuis, n’ont fait qu’y ajouter et la rendre plus respectable ; il y est assis, il s’y appuie en toutes choses, il s’en prévaut ; il le sait, et il le donne à connaître ; et lui-même, en tête de je ne sais plus quel article écrit vers le temps de sa polémique, il a naïvement exprimé cette satisfaction intime qu’on éprouve, lorsque après des tâtonnemens, ayant enfin trouvé sa voie, on s’assied sur une borne un moment, et qu’on parcourt du regard, derrière et en avant, sa belle carrière, prêt à repartir.

Le livre sur la littérature latine est un bon livre. On y apprend beaucoup de détails piquans de mœurs, et à bien connaître en somme (pourvu qu’on le lise avec contradiction) toute cette poésie du second âge. Mais j’eusse mieux aimé un livre plus historique, plus suivi, plus astreint à son sujet, moins conjectural en inductions sur le caractère des poètes, moins plein de préoccupations très modernes. Le livre en eût été plus grave, plus véritablement classique, plus vrai. Il a été au long apprécié par M. Daunou au Journal des Savans, et par M. Villemain dans la Revue de Paris. Au milieu des éloges fort précieux et fort mérités que ces deux critiques si