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LE MAROC.

charge ses oppresseurs d’imprécations qu’ils ne peuvent entendre ; et qu’il compte les quadruples qu’ils ne peuvent voir ; cette heure-là le console de tout.

Le plus grand malheur des Juifs est de n’éveiller aucune sympathie, de n’exciter aucune pitié. Leur destinée est de n’être ni consolés, ni plaints ; seuls entre tous les opprimés du monde (et quelle oppression égala jamais la leur ?), ils n’ont ni avocats pour plaider leur cause, ni amis qui leur tende la main. La persécution n’a jamais pu faire d’eux des martyrs. Ils sont considérés d’un bout du globe à l’autre, chez les Chinois et chez les musulmans, dont ils n’ont pourtant pas tué les prophètes, plus encore que chez les disciples du crucifié, comme une plante parasite qui n’a pas de racines dans le sol et qu’on souffre dans son champ par tolérance ou par intérêt. On peut bien, comme le bacha barbare, ou comme les rois d’Europe, s’inspirer, dans des vues de lucre, de leur génie mercantile et usurier ; mais c’est un instrument dont on use sans en faire cas, et qu’on foule aux pieds à la première occasion. Pour être utile quelquefois, il n’en est pas moins méprisé toujours, par ceux-là même qui s’en servent.

Ce n’est pas la première fois que les Juifs sont en captivité : long-temps déjà avant leur grande dispersion, n’avaient-ils pas baigné de leurs sueurs la terre d’Égypte et les rivages de Babylone ? Mais alors il se trouva un grand homme pour les tirer de servitude ; ils avaient des prophètes pour leur prêcher l’espérance. Aujourd’hui où est Moïse pour réunir les tribus éparses de la maison d’Israël ? où est Jérémie pour pleurer sur les ruines de Jérusalem ? Le génie militaire des anciens Hébreux est mort comme leur génie politique ; leurs grands capitaines et leurs grands tribuns Josué, Samuel, n’ont point d’héritiers ; la sublime poésie des prophètes n’a plus d’échos. Les lumières divines se sont éteintes jusqu’à la dernière étincelle, et il s’est fait, chez ce peuple qui a cessé d’en être un, un grand silence et une grande nuit. Comment es-tu tombée des cieux, étoile du matin, fille de l’aurore ?

Enfant perdu de l’humanité, le Juif ne s’intéresse aux catastrophes et aux prospérités des états qu’autant qu’il spécule sur les unes ou sur les autres. Il ignore les passions et les vertus du citoyen, car il n’a pas de patrie et il n’en désire pas ; il a si complètement oublié ses origines qu’il n’a pas un regret pour la terre où dorment