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LE MAROC.

vendu ses premiers droits au plus offrant. Il y avait aussi dans la maison une jeune veuve de dix-huit à vingt ans ; mais celle-là, quoique belle encore, était une rose fanée et sans parfum ; elle avait perdu tout prestige ; un Juif l’avait possédée. Qui voudrait accepter un pareil héritage ?

La maison de notre hôte n’était pas la seule qui renfermât de ces trésors voilés, nous en cherchâmes et en trouvâmes beaucoup d’autres, quoiqu’aucune rivale n’enlevât la pomme décernée par nous, dès l’abord, à nos deux jolies hôtesses. Les maisons juives sont bâties sur le même plan que les maisons maures : les appartemens s’ouvrent sur la cour, et ne reçoivent pas de jour extérieur ; les rues, à l’exception d’une ou deux qui ont des boutiques, sont flanquées de hautes et sombres murailles absolument nues et horriblement tristes. Cependant la curiosité féminine a fait pratiquer de petites lucarnes clandestines où l’on peut passer la tête. C’est la grille mondaine des religieuses de Palerme. Notre présence dans le Millah faisait sensation ; mais le premier sentiment d’un Juif, c’est la peur, et la peur faisait taire la curiosité. Quand nous paraissions dans quelque rue (et quelles rues, grand Dieu !), la population prenait incontinent la fuite. Au bruit des fuyards, une tête de femme couronnée de la sfifa sortait de chaque lucarne ; rien n’était plus piquant que ces fantastiques apparitions ; elles étaient si brusques, si inattendues, qu’elles semblaient produites par la baguette d’une fée ; on eût dit ces princesses enchantées des Mille et une Nuits.

Toutes ces femmes nous suivaient de l’œil et nous jetaient des sourires ; quand elles étaient jolies, nous entrions sans façon dans la maison, aucune porte n’eût osé se fermer devant nous ; le domicile d’un Juif est chose si peu sacrée. Ces portes ne sont pas une des moindres curiosités du lieu ; on voit qu’elles ont été fabriquées par la terreur. Elles sont formées d’énormes madriers de trois à quatre pouces d’épaisseur, tout bardés de grosses lames de fer et armés de triples verrous ; on dirait des clôtures de prisons ou de forteresses ; les maisons juives sont en effet l’une et l’autre ; cette première porte qui donne sur la rue, ne suffisant pas pour calmer les alarmes de l’avarice israélite, il y en a une seconde qui s’ouvre sur la cour et qui est taillée sur le même modèle que sa sœur jumelle. Elles sont si basses toutes les deux, qu’il faut se baisser pour pas-