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énorme que de vous livrer entre les mains de Bonaparte. C’est pourquoi, quand les troubles de la guerre le permirent, il fit retentir à vos oreilles le nom de vos cortès, qui a toujours été pour vous le boulevart de la liberté civile et le trône de la majesté nationale : nom jusqu’à présent prononcé avec mystère par les savans, avec défiance par les hommes d’état, avec horreur par les despotes ; mais qui signifiera désormais, en Espagne, la base indestructible de la monarchie… Cette auguste assemblée va devenir un immense et inextinguible volcan, d’où couleront des torrens de patriotisme pour revivifier toutes les parties de ces vastes royaumes, enflammant tous les esprits de l’enthousiasme sublime qui fait le salut des nations et le désespoir des tyrans[1]. »

Ce ne sont pas ici des banalités de tribuns enflammés par l’ivresse révolutionnaire. Ce manifeste descend d’un corps où dominent l’esprit des classes privilégiées et les anciennes traditions politiques ; ce sont des archevêques et des grands, des généraux et des hommes de cour, libres de toute coërcition matérielle, dominés seulement par d’urgentes nécessités morales, qui poussent ce cri passionné auquel il sera bientôt répondu par la constitution de Cadix.

Qu’on n’oublie pas que, peu après, et du fond du même palais, Joseph, pour atténuer l’effet de ces émouvantes paroles, promettait aussi la convocation des cortès du royaume[2] ; qu’on sache bien qu’au camp de Madrid, l’étranger, pour arrêter le feu de l’insurrection, promulguait surtout des décrets de réforme sur toutes les matières du gouvernement[3] ; lui, Napoléon, reconnaissant, pour la première fois de sa vie, l’impuissance de son épée ! Et qu’on dise si une irrésistible préoccupation ne possédait pas alors l’Espagne, et si les cortès ne reçurent pas leur mission de circonstances plus puissantes que toutes les volontés humaines !

Les cortès de Cadix, tout critiquable que soit leur ouvrage, sortirent donc d’un immense ébranlement de l’esprit public : comme notre assemblée constituante, elles furent entourées du même enthousiasme et des mêmes illusions. Si nous assistons en Espagne à des péripéties plus rapides, à des abandonnemens plus complets de la liberté ou du trône, si

  1. Manifeste à la nation espagnole, 28 octobre 1809. Annual Register.
  2. Décret de Séville du 18 avril 1810. Moniteur du 28 mai.
  3. Décrets de Napoléon, datés du camp de Madrid, supprimant l’inquisition, les droits féodaux, les justices seigneuriales, les douanes intérieures des provinces, organisant l’ordre judiciaire, réduisant le nombre des couverts, défendant l’admission des novices, etc. (4, 12 décembre 1808). Décrets de Joseph, supprimant les ordres religieux et militaires, les juridictions ecclésiastiques, le vœu de saint Jacques, l’un des impôts les plus onéreux pour l’agriculture, etc., etc. (18 août, 18 septembre, 16 décembre 1809.)