Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 8.djvu/246

Cette page a été validée par deux contributeurs.
242
REVUE DES DEUX MONDES.

qui nous suivait, monté sur un âne. Celui-là faisait la campagne en volontaire ; il s’était mis de lui-même à notre service, et nous accompagnait à ses risques et périls en qualité de cuisinier ; l’expérience nous prouva que son calcul était juste.

Aucun de nous n’était armé ; le soldat que le kaïd m’avait donné pour passeport nous servait en même temps d’escorte ; il répondait de nous, et, sous sa tutelle, nous n’avions rien à craindre. Il représentait auprès de nous l’autorité du sultan ; et telle est la force de la discipline dans cette monarchie modèle, que pas un sujet, à moins qu’il ne soit en révolte ouverte, n’oserait attenter à la personne d’un voyageur, fût-il chrétien, fût-il juif, s’il est placé sous la protection impériale. Cette simple escorte est une sauvegarde qui le rend inviolable, tandis que s’il se hasardait à voyager seul, il ne ferait pas un pas sans être insulté, égorgé peut-être, par quelque fanatique.

Quant aux voleurs, le danger est bien moins grand que sur la rive opposée ; en Espagne, un seul homme d’escorte ne nous eût pas suffi, et nous aurions été nous-mêmes armés jusqu’aux dents. Notre garde était si plein de sécurité de ce côté-là, qu’il n’avait pas même tiré de sa housse rouge le long fusil qu’il portait devant lui au travers de sa selle. À sa ceinture pendait un mauvais sabre de fabrique européenne, tel qu’en portaient nos fantassins à la bataille de Fontenoy. Ce soldat était un nègre du soudan, homme de confiance du kaïd, qui me l’avait déjà donné pour visiter le château. C’était un colosse de près de six pieds, d’un noir cuivré, le nez épaté, les lèvres épaisses ; malgré sa face rébarbative, il était de mœurs douces, et, quelque mépris qu’il professât sans doute pour nous au fond du cœur, il fut, pendant tout le voyage, un écuyer obligeant et soigneux. Il portait le haïk ordinaire et la calotte rouge sous le turban, seule marque distinctive de l’uniforme militaire. Sa selle, en fauteuil, était doublée de drap écarlate, et son étrier de fer massif, large de huit pouces, lui servait en même temps d’éperon. C’est tout-à-fait la selle andalouse.

Le nègre ouvrait la marche ; il cheminait devant nous en éclaireur, à une portée de pistolet, et nos montures avaient peine à suivre le pas égal et long de son grand cheval pommelé. Nous descendîmes d’abord sur la grève sablonneuse, et nous la longeâmes quelque temps, comme pour aller au vieux Tanger ; nous la quittâmes au