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au milieu des grands d’Espagne, des hauts dignitaires, du clergé et des hommes les plus importans entre les membres des juntes provinciales. Cependant pas un plan habile, pas une idée féconde ne sortit de cette réunion si difficilement formée, si impatiemment attendue. La junte, dominée par l’esprit routinier, asservie à toutes les vieilles formules, après s’être conféré le titre de majesté, et avoir accordé à chacun de ses membres, avec celui d’excellence et un traitement de 120,000 réaux, le droit d’orner sa poitrine d’une large plaque représentant les deux mondes, sembla d’abord mettre moins de soin à organiser des armées et à créer des ressources qu’à constater sa suprématie vis-à-vis le conseil de Castille, et à négocier avec lui. Ce dernier corps, conservateur jaloux de l’état d’anarchie légale par suite duquel il cumulait des attributions politiques, administratives et judiciaires, aussi mal limitées que peu conciliables ; camp retranché de tous les abus, puissant par sa nombreuse clientelle et son invincible opiniâtreté ; ce corps, dont la conduite avait été plus qu’ambiguë à l’arrivée de Joseph à Madrid, se trouva tout à coup, à la sortie de ce dernier de la capitale, ressuscité par l’insurrection.

Mais il y avait en celle-ci quelque chose d’entreprenant et d’audacieux qui lui donnait des vertiges. Ne tenant compte ni de la lente procédure du conseil ni de son gothique protocole, l’insurrection tranchait de la souveraineté populaire ; et le plus souvent, pour la contenir, le conseil ne savait d’autre moyen que de rappeler les droits suprêmes des cortès. À chaque circonstance délicate, à chaque collision de pouvoir, ce cri partait aussi du sein des juntes provinciales. Le gouvernement central affectait le souverain pouvoir, comme représentant à la fois Ferdinand VII et cette assemblée suprême de la nation ; les assemblées locales le lui refusaient en contestant vivement la légitimité de cette représentation, comme on déniait en France les droits politiques du parlement dans leur prétention de suppléer les états-généraux. C’était ainsi qu’une idée nouvelle jaillissait de toutes parts comme la plus impérieuse des nécessités, pendant que l’ancienne magistrature, représentée par le conseil de Castille, aspirait à mettre la révolution à son pas, à la manière de bœufs qui prétendraient s’attacher à une machine à vapeur.

On comprendrait mal, en effet, le mouvement de 1808, si l’on voulait le réduire à la question unique de l’indépendance. Ce fut là sans nul doute ce qui mit les armes aux mains de la multitude ; mais sans parler des classes éclairées, dont on a déjà apprécié les tendances politiques, il est certain qu’au sein des masses populaires fermentait en ce moment un universel besoin de réformes. On y sentait plus douloureusement qu’ailleurs l’abaissement de la patrie, et, sans trop savoir par quel moyen, on entendait cependant guérir ses blessures.