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THÉÂTRE FRANÇAIS.

mire très sincèrement la grace parfaite qu’elle montre sous les traits d’Araminte et de Sylvia. Je ne crois pas qu’il soit possible de jouer Célimène avec plus de finesse et de vérité. J’admettrai volontiers que Mlle Mars est une comédienne consommée, familiarisée depuis long-temps avec toutes les ressources de son art ; mais, si habile qu’elle soit, je suis loin de la croire appelée à jouer tous les rôles. Son talent se distingue par la pureté plutôt que par la souplesse. Elle traduit merveilleusement les ruses de la coquetterie ; elle sait congédier un amant importun avec un dédain inimitable, écarter un fâcheux avec une impertinence pleine de politesse. Elle sait trouver dans une phrase des effets inattendus, des intentions que l’auteur ne soupçonnait pas ; elle accentue chaque mot avec une justesse exquise. Chacun des rôles de son répertoire est pour elle l’occasion d’études sérieuses, et ces études ne sont jamais vaines. Mais le répertoire de Mlle Mars n’est pas universel. Cela est si vrai, si évident pour elle-même, qu’elle joue Elmire moins souvent qu’Araminte et Sylvia, et qu’elle touche à Sedaine avec ménagement. Quoiqu’elle soit applaudie dans le rôle de Victorine, cependant elle se sent plus libre dans les Jeux de l’Amour et du Hasard que dans le Philosophe sans le savoir. Ce qu’elle aime, ce qu’elle comprend avec une supériorité remarquable, c’est l’analyse de la passion plutôt que la passion elle-même. Elle n’atteint ni la gaieté ni l’enthousiasme ; la comédie qui veut le rire d’entrailles, le drame qui commande les larmes, défient le talent de Mlle Mars. Il y aurait de l’injustice à lui demander l’universalité ; elle a pris soin de se renfermer dans le cercle de ses facultés, et sa clairvoyance mérite des remerciemens. Elle est parfaite dans les attributions spéciales de son talent ; dans le domaine qu’elle possède, et que personne ne songe à lui disputer, elle est de force à fatiguer la louange, à épuiser toutes les formules du panégyrique. Mais si elle sort de son domaine, elle devient vulnérable, et la critique reprend ses droits.

Or, les rôles où Mlle Mars est parfaite, de l’avis unanime des hommes les plus sévères, ne sont pas des rôles de cœur, mais bien des rôles spirituels. Elle dit très bien les mots qui viennent de la tête, elle dit mal les mots qui viennent du cœur. Le rôle de Marie, malgré le style qui rappelle Marivaux, est cependant plus près du cœur que de la tête. Aussi Mlle Mars, malgré toute son habileté,