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l’espérance et la fidélité doit tenir bon jusqu’au dernier moment. Le choix de Cécile ajoute encore à la singularité de l’inconstance. Charles peut aimer Cécile comme la fille de Marie ; mais s’il l’aime autrement, c’est qu’il n’a jamais été capable d’une passion sincère, c’est qu’il n’a vu dans Marie qu’une femme pareille à toutes les autres, et que son affection devait disparaître devant la première ride. Dans ce cas, Charles ne mérite pas même un regret.

Cécile, bien qu’elle ne paraisse qu’au troisième acte, mériterait cependant d’être indiquée moins sommairement. Telle que nous la voyons dans la pièce de Mme Ancelot, c’est un personnage dont la physionomie n’a rien d’attrayant ni de nouveau. Nous ne savons pas si elle a quitté sa mère, si elle a été élevée loin d’elle. N’a-t-elle jamais vu Charles avant de le rencontrer aux eaux de Bade ? Si elle l’a vu familièrement établi dans sa famille, et nous sommes autorisés à le croire, comment n’a-t-elle pas deviné la passion de sa mère ? Comment a-t-elle fait pour lui cacher son amour naissant ? La rivalité de la mère et de la fille, pour intéresser le spectateur, a besoin d’être naturelle. Or, Charles, cédant aux instances de M. Forestier, non-seulement vient chez lui tous les jours, mais joue le rôle de médiateur dans les querelles du ménage, ce qui est, à mon avis, un rôle parfaitement ridicule. Ce rôle suppose chez celui qui le remplit un crédit fondé sur une longue intimité. Par quelle combinaison imprévue de circonstances Cécile ignore-t-elle la passion de sa mère ? L’auteur n’en dit rien, et nous réduit aux conjectures. Sans doute cette ignorance n’est pas impossible, mais je voudrais la voir motivée. L’avouerai-je ? quoique le cœur se résigne difficilement à vieillir, les années qui séparent Cécile et Marie donnent à leur rivalité un caractère prosaïque. Cécile est si jeune, et sa mère si près de ne plus l’être, que nous ne consentons pas volontiers à les voir toutes deux éprises du même homme. Il nous semble ou que Cécile débute bien tôt, ou que Marie persévère bien long-temps. Il y a, dans le rapprochement de ces deux âges si différens, quelque chose qui nous blesse. L’image de la passion s’efface et disparaît devant l’ardeur impérieuse des sens. Nous n’excusons pas Charles, mais nous le comprenons trop bien. Si Marie était seule à l’aimer, son amour nous paraîtrait légitime. Rivale de Cécile, Marie a dix-sept ans de plus et nous semble presque insensée dans son acharnement. Je suis