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blable. Elle n’a rien aimé ; elle ne laissera point de regrets. Ensevelie dans ses formules, comme dans le cérémonial et dans l’étiquette des princes médiatisés, elle est étendue sur son lit de parade. Le pressentiment du lendemain lui a manqué jusqu’au bout. Tel possédait par elle l’absolue intelligence, et formulait, dans un calme majestueux, toutes les époques de l’histoire assyrienne et chaldéenne qui est mort de stupéfaction et d’horreur à la vue du Moniteur du 29 juillet 1830.

La science où parut le plus clairement ce zèle d’abstraction indépendant de la réalité, est la jurisprudence ; dans moins d’un demi-siècle, on sera étonné, lorsqu’un voyageur racontera ce qui suit : Sous le pôle boréal, se rencontrait, il y a trente ans, un pays où vingt mille plumes à la fois ne se lassaient, ni jour ni nuit, de commenter le Droit Fécial, Augural, Papyrien, Bysantin, Carlovingien, Gothique, Canon, Féodal, Coutumier ; à côté de ces écrivains, d’une science infaillible, j’ai vu des juges dépendans, des tribunaux princiers, des procédures privilégiées, des jugemens secrets ; de temps en temps un criminel passait traîné à l’échafaud ; le lendemain on apprenait à la fois à table le crime et le châtiment de cet homme. Au reste, point de contrôle de l’opinion sur les jugemens ; témoins, juges, accusateurs, accusés, tout étant enveloppé dans le même mystère. Ne croyez pas que de ces vingt mille plumes, une seule se laissât distraire par une si mince circonstance, et qu’une si étrange législation soulevât nulle part la moindre controverse. Il est vrai que pendant ce temps on avait retrouvé Gaius, commenté les Capitulaires, et ces commentaires étaient autant de chefs-d’œuvre. De plus on savait à merveille l’art d’être juste tel qu’il avait été pratiqué à Salente, un siècle avant Homère.

Les poètes eux-mêmes, ces consolateurs des peuples, ont trop souvent partagé cette incurie. Les correspondances posthumes qui ont été publiées dans ces dernières années, prouvent clairement que ce manque de charité et d’entrailles fut le caractère constant de Goëthe. Son système de neutralité permanente dégénérait avec l’âge en manie. Je ne sache pas qu’aucun homme, non pas même Alexandre, fils d’Ammon, soit descendu au tombeau avec une satisfaction plus intime et plus immuable de sa propre divinité. Dans les lettres de Bettine de Brentano, on voit une jeune fille se con-