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REVUE ÉTRANGÈRE.

civiles, ces choses-là sont fort sérieuses chez nous et en Angleterre, et les poètes allemands ont là-dessus une légèreté à laquelle nous autres Français nous ne pouvons plus atteindre. Les bouleversemens sociaux n’ont encore pour eux que le piquant de l’inconnu. Ils en sont à la gracieuse époque du mondain de la régence, ou des Cavaliers des Stuarts. Si jamais une révolution passe sur leurs têtes, alors nous verrons comment cette bande joyeuse la supportera.

Qui croirait, malgré cela, que les gouvernemens ont traité cette école comme une ligue de sanglans conspirateurs ? Les coups d’état les plus violens ont été un moment réunis contre de mystiques épicuriens qui ne font après tout qu’exprimer les tendances de leur pays. Si l’Idéalisme se met sous la protection des gendarmes, il faudrait faire la même guerre à l’industrie, aux usines, aux fabriques, à l’enthousiasme pour les chemins de fer et pour les bateaux à vapeur, toutes choses qui annoncent de la même manière la chute du vieil esprit et l’occupation ardente de la matière. Mais c’est une ridicule contradiction de persécuter le système dans les poètes et de protéger dans le peuple l’application. Ce cri de l’Allemagne surannée ressemble à la plainte d’Arioste contre l’invention déloyale de l’arquebuse et de la poudre à canon. Les vieilles armes sont rouillées et impropres aux combats qui se préparent. Ni larmes ni regrets ne peuvent leur rendre l’éclat perdu. Sous la hache bourgeoise du xixe siècle tombent également les forêts de l’Amérique et les fantastiques ombrages de l’Allemagne. Au lieu des chants des fées dans les forêts séculaires, le pic des pionniers qui tracent leur chemin rapide à des générations plus rapides, retentit du Danube au Rhin. Elfes immaculés, gnômes, sylphes spiritualistes, impalpables ondines, votre heure est venue ; il en faut prendre son parti. La question des douanes a remplacé pour tous la question de l’impératif catégorique.

La nouvelle littérature, au-delà du Rhin, se donne beaucoup de peine pour contrefaire l’air dégagé, la légèreté et l’élégante débauche de la littérature du xviiie siècle ; j’ajouterai même qu’elle y réussit. Les Romains n’avaient-ils pas dressé de petits éléphans à danser gracieusement sur la corde ! Au milieu de cela, que devient l’imagination ainsi dépaysée ? Tout se rapetisse : un génie lilliputien prend la place des conceptions transcendantales ;