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révolutionnaire se distingue au premier chef par son mépris pour son excellence Wolfgang de Goëthe, pour M. Frédéric de Schiller, et pour M. le conseiller Louis Tieck. Il lui est enjoint de passer, chaque jour, trois heures de contemplation devant l’une des Vénus de Titien à son choix. Quant aux chastes vierges de Raphaël et aux anges ascétiques du moyen-âge, la vue lui en est sévèrement et absolument interdite, sous peine de retomber dans le vieux péché d’idéalisme. Son éducation ainsi commencée, il peut tailler sa plume. Si à cela il ajoute quelques plaisanteries burlesques contre le Christ et sa mère, lesquelles il aura soin d’emprunter aux facéties de Voltaire, cette dernière nouveauté captive tout, entraîne tout. Il étonne, il frappe, il commande ; en un mot, il est créateur, demi-dieu incarné. Que dis-je demi-dieu ? de par le panthéisme, il est Dieu lui-même ou Jupiter-Scarabée. Quoi de plus ? il est cité dans la Gazette d’Augsbourg, la véridique Gazette d’Augsbourg !

Cette petite guerre contre l’idéalisme s’est faite au nom et sous les auspices de la révolution française. Plus d’une fois, cette aimable croisade a été comparée à la sanglante majesté de la convention. Chacun se choisissait dans l’histoire de 93 un rôle à son gré. J’ai connu le Robespierre de cette gracieuse révolution. Je ne me souviens plus qui en était le Mirabeau ou le Napoléon ; travestissemens innocens, s’il en fut, et qui auraient dû désarmer les puissances de la terre.

Tandis qu’en France et en Angleterre la chute de la vieille société a provoqué une poésie plaintive et désespérée, on s’étonne que cette même ruine s’annonce en Allemagne par la satire, par le ricanement, et par ce qu’on y appelle l’ironie de l’univers. C’est dans le pays le plus naturellement sérieux que la plainte prend le masque comique. Tous les rôles sont changés. Là où les poètes anglais et français pleurent et se lamentent, les jeunes poètes allemands commencent à se divertir et à banqueter. Pourquoi cela ? Je n’en vois d’autre raison décisive que celle-ci : l’Allemagne n’a point encore connu les angoisses qui naissent d’une révolution véritable, ou elle les a oubliées. Il est permis de s’y jouer avec grace de la convention française comme des Nuées d’Aristophane. On y est presque aussi loin de la place Louis XVI que de la prison de l’Aréopage. Échafauds politiques, dictature populaire, guerres