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aller adorer ce prédicat ; que seulement la forme s’est évanouie dans la substantialité ; que rien autre chose n’est changé. De bonne foi, qu’est-ce que tout ce galimathias pour remplacer un Dieu ?

Ô grand, puissant, burlesque Protée, infernal Voltaire, que pensez-vous de cette chute, dans votre tombeau du Panthéon ? Après tant de détours, de menaces, de dédains, voilà enfin la poétique Allemagne, la religieuse Allemagne qui tombe entre vos mains, et les griffes de Satan qui poussent aux pieds de l’ange Abbadona ! N’est-ce pas vous qui ressuscitez sous cette forme nouvelle, et qui, pour mieux tromper le monde, revêtez comme votre tunique la blonde candeur de la science allemande ? Où fuir ? où se cacher ? où se sauver ? Il y avait un rossignol allemand qui chantait ses plus beaux chants dans la forêt Hercynienne. Les peuples étaient accourus et écoutaient sa voix enchantée. Ils sentaient, pendant qu’ils l’entendaient, rentrer dans leurs cœurs la foi qu’ils avaient perdue et la poésie des vieux jours. Un souffle divin les ranimait, et leur ame s’élançait sur les ailes de cet oiseau merveilleux pour parcourir les sphères mélodieuses. Mais voilà qu’un serpent à la gueule impure avait roulé ses anneaux au tronc d’un chêne du voisinage. Le rossignol l’aperçut ; il fit silence, et soit peur, soit amour, soit un charme plus puissant que le sien, il tomba en voletant dans cette gueule béante ; après quoi, le serpent darda sa langue, et prenant la parole, il dit : « Me connaissez-vous ? Je me suis appelé tour à tour, dans l’Éden, Léviathan, Satan, Moloch ; au moyen-âge, Hérésie, Jean Hus, Martin Luther ; chez les Tudesques, Méphistophélès ; chez les Welches, Voltaire. À présent, je me nomme comme vous tous : Scepticisme. » Les peuples l’ayant entendu se retirèrent et pleurèrent pendant trois jours.

L’influence de la révolution de 1830 n’a pas été en Allemagne aussi nulle qu’on le pense. Ce branle donné au monde a hâté le bouleversement des systèmes surannés. Le saint-simonisme lui-même a pénétré au sein du vieil idéalisme, et la réhabilitation de la matière n’a été nulle part prêchée avec plus d’avidité que par les frères et descendans du jeune Werther. L’école qui a pris un moment le nom de Jeune Allemagne n’a guère d’autre dogme que celui-là. Que de livres n’a-t-elle pas enfantés, qui ont eu un retentissement populaire, sans autre mérite évident que de réveiller