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REVUE ÉTRANGÈRE.

ronnés de leurs propres mains. Ressusciter Kant, Fichte, Schelling, Hegel, ou ressusciter l’assemblée constituante, ou la terreur, ou Napoléon ou Louis-le-Désiré, des deux parts même folie. Ces théories sont dans la même poussière où sont aujourd’hui les évènemens d’où elles sont sorties. Un seul jour nous en sépare, mais ce jour est un siècle. Paix donc à ces morts glorieux ! Quand même vous posséderiez la trompette du jugement dernier, vous ne pourriez les ranimer.

Ce n’est pas à dire pour cela que ce mouvement de l’intelligence doive rester sans résultat. Le panthéisme est partout au fond de la philosophie allemande comme l’égalité est partout au fond de la révolution française. Si ces deux principes viennent jamais à s’entendre, ils constitueront entre eux le monde nouveau.

On fait, de l’autre côté du Rhin, une grande accusation à la France de la mobilité et de l’inconstance de ses systèmes de gouvernement. Ne pourrait-on pas retourner cette accusation contre ceux de qui elle part, si de pareils griefs ne s’adressaient, avant tout, à l’esprit de l’humanité même ? Que de fois l’Allemagne, dans ce même demi-siècle, n’a-t-elle pas changé de systèmes et d’enthousiasmes ! que n’a-t-elle pas couronné dans ces dernières années ! l’esprit et la matière, le pour et le contre, le moi et le non-moi, la liberté et la fatalité ! Que de sermens solennels jurés à ces rois de la pensée, à Kant, à Fichte, à Schelling ! chacun de ces sermens devait durer toujours. Ils n’ont pu tenir devant l’avènement d’un principe plus jeune et plus nouveau. Hegel vient de mourir, le puissant Hegel ! sa cendre est encore chaude. Où sont ses disciples fidèles, ses croyans, ses apôtres ? Il n’en a plus. Il renaîtrait aujourd’hui, qu’il importunerait ceux qui l’ont embaumé hier : il serait comme Épiménide après un sommeil d’un siècle, tant le mouvement qui emporte et vieillit les morts est, plus que jamais, rapide et inexorable. C’est maintenant qu’il faut chanter à table : « Les morts vont vite. »

De la même manière qu’en France la chute de tant d’administrations opposées a embarrassé la liberté d’une foule de lois, réglemens, décrets, ordonnances contradictoires ; de même, en Allemagne, la chute de la philosophie a embarrassé l’intelligence d’une foule de formules de tous les régimes. Pour conserver quelque naturel au milieu de ces entraves, il faut une rare vivacité