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de ses immenses ressources. Sous la pourpre impériale, Napoléon était resté, pour l’étranger, l’homme des idées de 89, qui, pour être couronnées, n’en étaient pas moins vivantes. L’instinct public était indulgent pour un despotisme qui allait à détruire d’un coup plus prompt et plus sûr tout ce qui restait de la hiérarchie antérieure, et qui, par l’établissement d’un système d’administration centrale, préparait le sol que féconderaient plus tard le travail industriel et la liberté politique.

Ce caractère fut celui de Napoléon pour l’Allemagne comme pour l’Italie, pour l’Italie comme pour l’Espagne. Ni les dérogations fréquentes de sa conduite au principe qu’il représentait, ni les plus coupables attentats contre l’indépendance des peuples ne purent l’effacer de son front ; et voyez en effet si, le jour de la colère une fois passé, ils ne se sont pas tournés vers la grande tombe de Sainte-Hélène. C’est que sur ce rocher où le Prométhée du monde politique expia ses fautes, reposent des restes qui sont pour l’Europe le signe et le gage de cette organisation unitaire basée sur l’égalité civile et la libre concurrence, vers laquelle elle tend, sinon comme à un but définitif, du moins comme au principe de tous les progrès.

L’Allemagne, durant une ardente réaction contre le régime français, a bien pu, dans ses méditations savantes et solitaires, fonder une école historique avec mission de ranimer l’antique Europe, en abaissant la prétendue stérilité de l’ordre administratif et constitutionnel sous la luxuriante végétation du régime des vieilles franchises et des institutions provinciales, contemporaines des nationalités primitives : mais tout cela n’a d’importance que pour les livres, car le mouvement européen marche au rebours de ce mouvement. On peut ainsi évoquer de grands souvenirs et avancer la science archéologique ; mais il faut se résigner à rester en dehors de la politique et des sympathies actuelles.

Ces réflexions nous sont venues à la lecture d’un ouvrage récent inspiré par la situation de la Péninsule[1], que l’esprit éminent du savant auteur, abusé par ses souvenirs de jeunesse et ses préoccupations d’études, nous paraît avoir fondamentalement méconnue. Il repose sur cette donnée, que des hommes très influens en Europe sont parfois disposés à admettre, qu’au-delà des couches superficielles et du badigeonnage moderne, il existe à la gêne, et comprimée, une antique Espagne d’avant la maison de Bourbon et les princes autrichiens, où vit encore l’esprit héroïque des vainqueurs de Boabdil, l’esprit provincial et fier des Bravo et des Padilla. On en infère que les maux de ce pays ont pour principe une funeste et impossible application des méthodes françaises, successivement

  1. De l’Espagne. Considérations sur son passé, son présent et son avenir, par M. le baron d’Eckstein. 1 vol. in-8o. Chez Paulin, rue de Seine.