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DE LA PRÉSIDENCE AMÉRICAINE.

de l’histoire des États-Unis. Chez un peuple possédé de l’amour du lucre, on a vu le chef de l’état poursuivre la ruine d’une institution dont la chute eut entraîné les fortunes particulières par milliers, et la démocratie rester imperturbablement fidèle à son élu, qui l’exposait ainsi à la misère. Sur une terre où le nom de la loi commandait un profond respect, où, jusqu’à ce jour, les magistrats suprêmes avaient pris plaisir à se renfermer dans le cercle étroit de leur prérogative, on a vu des actes de dictature, tels que l’enlèvement à la Banque des excédans du trésor, être accueillis avec transport par la foule, parce qu’ils étaient dirigés contre ce qu’on appelle l’aristocratie d’argent. Mais, en même temps, on a vu une poignée d’hommes courageux et éloquens, une vingtaine de sénateurs, tenir tête à la multitude, et défendre, sans lâcher pied, contre les assauts populaires, la constitution et les lois, dont la cause était liée à celle de la Banque. On a pu juger aussi de ce qu’ont d’irrésistible la puissance de l’industrie et la force de l’argent : pendant que le général Jackson et ses amis entonnaient leur chant de victoire autour de ce qu’ils croyaient être le cadavre de la Banque, celle-ci, tirant habilement avantage des divisions du parti Jacksonien en Pensylvanie, a reparu, avec une vie nouvelle, au cœur de cet état, dont elle a désormais enchaîné les intérêts aux siens, de sorte que sa mort supposée n’est qu’une métempsycose[1]. Elle se rit aujourd’hui des haines de ses adversaires ; elle durera plus qu’eux. Elle a maintenant trente ans devant elle ; trente ans, avec la démocratie, c’est un siècle. Aussitôt relevée, elle a raconté à ses actionnaires, à la barbe du président, que c’était l’Union qui allait payer jusqu’au dernier centime tous les frais de la guerre que le général et ses amis lui avaient faite à elle-même ; que, quant à elle, elle n’y perdait pas un sou, qu’elle y gagnait plutôt.

Ce dernier trait, qui ressort du rapport fait par M. Biddle aux actionnaires, n’est qu’une gasconnade. L’issue de la guerre est fâcheuse pour le trésor public, mais elle l’est aussi pour la Banque. Cependant la Banque est en droit de narguer le général Jackson, car la grande victoire de celui-ci au sein du congrès n’est plus

  1. La Banque des États-Unis tenait autrefois son existence du congrès. Aujourd’hui elle la tient de la législature de Pensylvanie. Ses priviléges sont moins étendus, mais elle a conservé les plus lucratifs, et trouvera le moyen de jouir indirectement des autres.