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L’ESPAGNE AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

L’administration subissait cette influence, ou, pour mieux dire, elle en était le centre. Les comtes d’Aranda, de Campo-Manès, de Florida-Blanca, rivaux de puissance, mais disciples de la même école, secondaient ce mouvement de réorganisation administrative, qui seul pouvait alors rendre à l’Espagne quelque importance politique ; et les classes riches et éclairées lui prêtaient un concours expliqué par la nécessité de livrer à la culture d’immenses possessions stériles, et de faire fructifier les capitaux, ou, pour parler plus exactement, les métaux improductifs de l’Amérique.

Le prince de la Paix suivit, selon la mesure de ses forces, un système qui avait jeté de trop profondes racines pour pouvoir être abandonné. Si le bien essayé par une main dégradée n’était compromis par son origine même, il faudrait reconnaître que l’administration de Godoï ne manqua pas toujours de portée et de clairvoyance. Diverses améliorations administratives furent ou effectuées ou tentées. Peu d’années avant sa chute, le favori avait négocié avec Rome l’obtention d’une bulle pour régulariser la vente d’une portion des biens de mainmorte ; et le régime des majorats devait subir de notables changemens. L’influence française et l’alliance avec la France devinrent, plus que jamais, la règle du régime intérieur et la base des transactions diplomatiques. À partir de la paix de Bâle, le cabinet espagnol se montra l’auxiliaire constant et dévoué de tous les gouvernemens qui se succédèrent en France, depuis la convention jusqu’à l’empire ; et si cette intimité parut quelquefois sur le point de se relâcher, comme à la rupture de la paix d’Amiens et avant la bataille d’Iéna, la cause de ces refroidissemens gisait, non dans les sentimens du peuple espagnol envers la France, ni dans ceux de la maison royale, mais dans les intérêts personnels et les mobiles préoccupations du prince de la Paix.

Ce qu’il y avait de prestigieux dans la fortune de Napoléon avait fortement saisi l’imagination castillanne : enthousiaste et mystique, associant à son ardente foi quelque chose de la fatalité orientale, elle s’inclinait sous cette étoile qui n’avait pas encore pâli. Bonaparte apparaissait d’ailleurs à l’Espagne avec le caractère qui fit toute sa force en Europe, et que l’on comprit moins peut-être à l’intérieur qu’au dehors : on voyait en lui le réformateur providentiel de l’ordre social, la plus énergique expression du mouvement, sous lequel s’abîmait un passé décrépit pour enfanter un nouvel avenir.

Le restaurateur du culte était très populaire auprès du clergé du royaume catholique ; le fils de la révolution, symbole vivant de l’égalité plébéienne, le chef d’un pouvoir intelligent et fort, était devenu, dans la Péninsule, l’espoir et le héros de tous ceux qui aspiraient à relever leur patrie par l’extirpation des abus de son régime intérieur et l’exploitation