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nous garder de leurs erreurs et de leurs faiblesses. » Le lendemain du jour où ce discours avait été prononcé, le général arriva à Washington. M. Clay s’empressa d’aller le voir, afin de lui témoigner qu’en remplissant ses devoirs de citoyen dans ce qu’ils avaient de pénible, il n’entendait pas renoncer à entretenir des relations de haute estime avec le vainqueur de la Nouvelle-Orléans. Le général ne lui rendit pas sa visite. De ce jour-là, il conçut contre M. Clay une animosité profonde qui n’a fait que s’accroître avec le temps, et qui s’est quelquefois exhalée dans les termes les plus durs. Il se laissa aller à des emportemens furibonds contre tous les membres de la législature fédérale qui avaient parlé contre lui On prétend qu’il menaça d’aller en plein congrès couper les oreilles à certain orateur qui avait été plus sévère que les autres, et que les énergiques remontrances du brave commodore Décatur parvinrent à grand’peine à l’empêcher de commettre un affreux scandale. Les résolutions improbatrices furent rejetées ; M. Monroë et ses amis n’épargnèrent aucune démarche pour sauver au général l’affront d’une réprimande solennelle.

Ce débat rehaussa encore le piédestal du général Jackson. On commença à parler de lui pour la présidence. À l’origine, il accueillit cette idée comme une mauvaise plaisanterie. On dit même qu’il s’écria alors : « Il faut que l’on me croie bien imbécille pour vouloir me mettre en tête que je suis du bois dont on fait les présidens. » Si le général Jackson a réellement porté alors ce jugement de lui-même, il a eu raison en ce sens qu’il est pétri d’une tout autre pâte que ses prédécesseurs, et qu’il n’était nullement propre à faire un président sur le modèle de ceux que l’Union avait eus jusque-là. Il y a deux sortes de grands hommes : les uns se distinguent par le parfait équilibre de leurs facultés, par le balancement mathématique de leur imagination et de leur raison, de leurs passions personnelles et de leurs tendances politiques. En vertu de cette pondération, les hommes de cette nature se comportent toujours avec gravité, mesure et convenance. Ils n’aventurent et ne précipitent rien ; ils s’avancent à leur but d’une allure ferme et régulière, mais lente, et finissent par l’atteindre sûrement. Tel fut, plus que personne au monde, l’illustre Washington. Il y avait en lui de l’impassibilité stoïque ou plutôt chrétienne, du patriotisme à la Cincinnatus et du bon sens pratique et calcu-