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DE LA PRÉSIDENCE AMÉRICAINE.

tranchement où les troupes furent à l’abri. L’artillerie des Américains était principalement servie par un pirate français, nommé Laffitte, qui, à la tête d’une troupe d’hommes, déterminés, avait long-temps fait son métier de forban du côté de Barataria[1], et dont les Anglais avaient en vain recherché les services. Les Anglais, au nombre d’environ neuf mille, vinrent en bel ordre de bataille, sur ce terrain boueux et glissant, affronter le feu de ces redoutables tireurs. La plupart de leurs officiers furent ajustés et abattus ; le désordre se mit dans leurs rangs ; ils furent obligés de prendre la fuite. Leur général Packenham fut tué ; deux autres généraux qui lui succédèrent furent blessés mortellement. Après avoir reformé leurs colonnes, ils revinrent à la charge sans plus de succès. La victoire des Américains fut complète ; deux mille de leurs ennemis couvrirent le champ de bataille. Le lendemain, un armistice fut signé, et, quelques jours après, les débris de l’armée anglaise évacuaient le sol de l’Amérique.

Le triomphe du 8 janvier eut un prodigieux retentissement, non-seulement parce que c’était un beau fait d’armes, mais aussi parce qu’il dégageait la Nouvelle-Orléans, qui, si elle eût été prise par les Anglais, fût sans doute long-temps restée entre leurs mains. Pour une puissance maritime, la Nouvelle-Orléans, avec sa ceinture de marécages et de lacs, est presque aussi aisée à défendre que Gibraltar. Mais elle a une bien autre importance que ce rocher stérile. Assise sur le Mississipi, près de son embouchure, elle maîtrise tout le commerce de l’Ouest. Tous les pays qu’arrosent le Mississipi, le Missouri, l’Ohio, la Rivière-Rouge, l’Arkansas, le Tennessée, le Cumberland, l’Illinois, avec leurs cours de deux cents, cinq cents, mille et quinze cents lieues, sont sous la dépendance de la Nouvelle-Orléans. Sauver la Nouvelle-Orléans, c’était sauver la plus belle partie de l’Union d’un vasselage commercial.

Dès ce moment donc le général Jackson, d’un cerveau brûlé de l’Ouest qu’il était, devint un personnage considérable. Il avait fait preuve, à tous les instans de cette courte et glorieuse campagne, d’une vigilance, d’un courage, d’une décision, d’un coup d’œil et d’une sagacité que les Américains déploient plus que tous les peu-

  1. La baie de Barataria est située en Louisiane, à droite du Mississipi ; elle est entourée de marais et de bas-fonds ; elle offrait aux corsaires un refuge impénétrable.