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nées. M. Isturitz, M. Toreno sont arrivés à Paris ; Cordova est à Bordeaux ; on ignore où s’est caché M. Martinez de la Rosa.

Le mouvement d’émigration, si sensible en Espagne, commence à se manifester en Portugal, où les affaires sont encore plus confuses ; les hommes du ministère amené par la proclamation de la constitution de 1820 sont obscurs et sans grande capacité ; le membre le plus distingué du nouveau cabinet est le ministre des finances, le vicomte de Sada Bandeira ; mais il est vieux, sourd, boiteux et presque aveugle.

La situation du Portugal, plus encore que celle de l’Espagne, a excité contre nous l’indignation du ministère anglais, d’autant plus que l’administration de lord Melbourne est violemment attaquée par les tories, qui l’accusent d’avoir préparé par son système politique la proclamation des deux constitutions à Lisbonne et à Madrid. Lord Palmerston est surtout l’objet de leurs agressions, et il est lui-même fort irrité contre le cabinet des Tuileries, qu’il accuse à son tour d’avoir provoqué par son abandon les démonstrations ultra-révolutionnaires de la Péninsule. Les tories se remuent beaucoup, et se flattent de renverser prochainement le ministère whig ; le retour de nos doctrinaires leur semble le signal de leur réintégration aux affaires ; ils s’opposent au mariage d’un des neveux de Léopold avec la princesse Vittoria, et se montrent fort hostiles à la maison de Saxe-Cobourg, qui se verrait ainsi arrêtée dans ses prospérités matrimoniales. Léopold, le chef de la famille, qui jouit d’un trône, pendant que son frère n’est que feld-maréchal au service de l’Autriche, voudrait marier son second neveu, le frère du prince Ferdinand, nouveau roi de Portugal, à la future reine d’Angleterre, et donner ainsi à sa maison, dans le midi de l’Europe, un vaste établissement royal. Les inimitiés des tories traversent ces desseins, et menacent la maison de Saxe-Cobourg, tant à Londres qu’à Lisbonne et à Bruxelles.

Tant que l’alliance de la France et de l’Angleterre a semblé sincère et féconde, pour l’avenir, la situation politique de l’Europe était claire et soumise à un système qui avait ses raisons et ses effets : d’une part, les gouvernemens constitutionnels sous le haut patronage de la France et de l’Angleterre, de l’autre les monarchies absolues. Maintenant la solidarité morale des états constitutionnels est rompue ; la France abdique volontairement toute influence ; l’Angleterre est irritée contre elle ; l’Autriche, la Prusse et la Russie ne lui sont pas devenues plus favorables et plus amies ; le système de paix a perdu la base qui faisait sa force et sa dignité. Voilà cependant la situation que le ministère du 6 septembre a acceptée avec autant d’empressement que d’imprévoyance.