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Cette appréciation préalable une fois faite, on pourra se demander en connaissance de cause pourquoi les révolutions et les contre-révolutions s’opèrent en cette contrée avec de si terribles facilités ; où vont, soit qu’ils le sachent, soit qu’ils l’ignorent, les intérêts les plus respectables et les plus puissans, et de quel point de ce sombre horizon descendront enfin la lumière et la paix, si la main de Dieu ne s’est pour toujours retirée de cette terre de calamités.

Nous allons parcourir trente années durant lesquelles l’Espagne s’est montrée sous toutes ses faces, donnant tour à tour gain de cause à chaque parti, et ne traversant l’ordre et la liberté régulière que pour retrouver le despotisme ou succomber sous l’anarchie. Nous aurons à nous demander si rien ne lie des faits qui semblent se produire au hasard, et n’enfanter que d’atroces représailles ; et si au delà des essais impuissans des conservateurs, en deçà des imprudens essais des libéraux, il n’y aurait pas un point d’arrêt auquel tendît constamment l’élite de la nation espagnole, tendance qui aurait avorté par la fatalité des événemens, bien plus que par la puissance des idées contraires.

Il y a souvent de l’injustice à rendre les nations comptables de leur fortune, et à croire qu’elles ont voulu tout ce qu’elles ont souffert. La France de 91 s’estimait arrivée au terme des innovations révolutionnaires, et formait à cette époque des vœux à peu près analogues à ceux qu’elle s’efforce encore aujourd’hui de réaliser avec des chances plus favorables. Mais elle oubliait de tenir compte des résistances de l’émigration violemment dépouillée, résistances qui suscitèrent la guerre étrangère et l’exaltation de 92, d’où sortit l’affreux régime de la terreur, non par l’engendrement naturel des idées, mais par l’effet de leur froissement. Personne ne doute que la France du directoire, malgré tant d’illusions perdues, ne désirât aussi concilier l’ordre et la liberté, c’est-à-dire le repos avec l’honneur, l’unité administrative avec le respect des intérêts, l’égalité civile avec la hiérarchie des lumières et des services, les droits des citoyens avec les prérogatives d’un pouvoir limité ; mais pour introniser ce règne de modération et de paix, elle eut besoin de l’épée d’un homme, et cet homme était Napoléon. En 1814, la nation accueillit la maison de Bourbon, parce qu’elle en attendait ce pouvoir fort et libre qu’elle rêvait toujours : les ordonnances de juillet la rejetèrent dans les voies chanceuses des révolutions, et l’anarchie triomphante l’eût indubitablement repoussée vers le despotisme. N’en serait-il pas ainsi de l’Espagne ? n’y aurait-il pas là aussi quelque point fixe vers lequel graviteraient les esprits et les choses, quoique la violence des résistances n’ait pas encore permis de s’y arrêter ?

Une étude consciencieuse nous autorise à le croire, et peut-être est-ce un devoir de le dire en un temps où l’intérêt public, qui se lasse vite