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et les murs mêmes lui rappelleraient à toute heure ; il aurait retrouvé le cabinet dans lequel il donnait audience aux réfugiés espagnols, et acceptait l’entière complicité de la propagande révolutionnaire ; peut-être n’a-t-il pas voulu prendre sur lui la responsabilité éclatante et directe des affaires intérieures. Il a mis à ce département M. Gasparin, dont il avait, il y a quelques années, exigé la présence auprès de M. Thiers pour surveiller ce dernier ; mais voici qu’aujourd’hui M. Guizot ne se croit plus assez sûr de M. Gasparin lui-même, et il lui donne, à lui aussi, un surveillant ! et quel surveillant ? M. de Rémusat !

M. Guizot est loin de lire aussi bien dans les hommes que dans les livres ; il se trompe souvent sur le caractère et l’aptitude de ses amis, sur la valeur et la mise en œuvre de ses instrumens. M. de Rémusat, nouveau sous-secrétaire d’état, doit, d’après les vues de M. Guizot, surveiller tant M. Gasparin que l’esprit public, imprimer une sorte d’unité à la presse ministérielle, aviser aux réponses qu’il faudra faire à l’opposition, correspondre avec les préfets pour ce qui concerne les élections ; enfin, en cas de dissolution, mener au combat la phalange ministérielle sur tous les points, exciter, caresser, intimider. Pour cette besogne, il faut de l’activité, du fanatisme, un zèle à toute épreuve, et personne ne saurait moins y convenir que le nouveau sous-secrétaire d’état. M. de Rémusat a trop de paresse et d’indépendance dans l’esprit, trop d’élégance et de liberté dans ses mœurs et son langage, pour descendre aux services qu’on attend de lui. Il y a étourderie de sa part à accepter de pareilles fonctions. M. de Rémusat est homme à deviser agréablement sur les fautes et les bévues de son administration ; on pourra le surprendre à s’en moquer, au lieu de la défendre. Il n’y a pas en lui l’étoffe, soit d’un censeur, soit d’un commissaire de police ; c’est un libre et ingénieux causeur, et ses collègues doivent s’estimer heureux s’il n’est dans le cabinet qu’un élégant hors-d’œuvre, et s’ils échappent à ses sarcasmes et à ses épigrammes. Qu’a dû penser, par exemple, M. de Rémusat de la prétention de M. Guizot, d’être un homme de juillet, lui qui l’a vu, ainsi que M. de Broglie, protester dans les bureaux du Globe contre la première apparition du drapeau tricolore ? Quelle maladresse de réveiller de pareils souvenirs !

Les fautes n’ont pas manqué à M. Guizot depuis son retour de Lisieux ; lui qui se vante d’être, par excellence, l’homme de la majorité parlementaire, non-seulement est revenu au pouvoir en l’absence des chambres, mais il a montré une défiance imprudente envers la majorité en demandant au roi la faculté de prononcer à son gré la dissolution. Sur ce point, il a essuyé un refus formel ; il paraît qu’il lui a été répondu qu’on ne voulait, en aucune façon, engager l’avenir et la liberté de la couronne ;