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voltés de la Navarre font des progrès au nom de don Carlos, si la révolution irritée vous pousse et vous déborde, appelez-nous, l’intervention est prête. » Cette promesse, M. Martinez de la Rosa la rappela avant sa chute, et M. de Toreno établit sur elle toute sa politique. S’il tint tête aux juntes insurrectionnelles, c’est qu’il croyait l’armée française l’arme au bras sur les rives de la Bidassoa et du Ter. Poussée à bout, la reine réclama l’intervention armée promise par la France ; elle essuya un refus, et, dans les emportemens de son dépit, laissa connaître qu’elle voyait l’abîme où l’avait jetée sa confiance aveugle. Cette politique de faux conseils, appuyés de promesses mensongères, était née à Paris, dans les têtes qui s’appellent gouvernementales, sans que rien fût venu d’Espagne aider à son enfantement. L’ambassadeur qui a représenté la France dans ce pays depuis la révolution de juillet n’en est pas complice. M. de Rayneval, à coup sûr, n’était pas un homme à passions démocratiques ; mais il avait du sens, de l’esprit, de la sagacité ; il voyait bien les choses, et voulait les voir avant de donner son avis ; il sentait bien qu’on s’arrêtait toujours mal à propos, dans des positions faciles à emporter ; qu’il fallait, non point céder pas à pas et devant une force toujours croissante, mais faire une large concession, puis essayer de s’y retrancher. On ne le croyait pas. Tandis que le cabinet anglais avait le bon esprit de s’en rapporter à la raison élevée, aux lumières supérieures, au caractère noble et droit de son jeune représentant à Madrid, la fatuité doctrinaire, loin de consulter les faits pour établir son opinion, établissait son opinion en dépit des faits. J’ai vu, en 1834, M. de Rayneval se plaindre avec amertume de ce qu’il n’était ni cru ni consulté, de ce qu’il jouait un rôle contraire à ses opinions, forcé de blâmer au fond du cœur ce qu’on le chargeait de soutenir officiellement. C’était à ce point qu’il m’engageait à écrire sur tel ou tel sujet, m’assurant qu’un article de journal d’opposition avait plus d’effet que toutes ses dépêches diplomatiques. Il est mort avec la conviction, soutenue par l’expérience, qu’il avait bien vu les choses, et le regret de n’avoir pu faire prévaloir cette conviction.

Le refus d’intervention amena un changement radical dans la politique intérieure de l’Espagne. Avec M. de Toreno tomba l’influence française, et l’influence anglaise entra au conseil avec