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pour agir, soit pour se désister. M. Guizot me répondit sans hésitation : « Dites à ceux qui vous envoient que la France a commis un crime politique en 1823 ; qu’elle doit à l’Espagne une réparation complète, éclatante, et que cette réparation sera donnée. » Une réponse si explicite, qui combla de joie les réfugiés espagnols, et les engagea sans retour dans leur entreprise, ne pouvait être une vaine parole ; l’effet, comme on va le voir, ne s’en fit pas attendre.

La société Aide-toi, le ciel t’aidera, venait de former, sous le nom de Comité espagnol, une réunion de membres pris dans son sein, chargée d’employer, pour révolutionner l’Espagne, tous les moyens dont elle disposait. Ce comité se composait de MM. Garnier-Pagès, Loève-Veimars, Marchais, Gauja, E. Arago, V. Schœlcher, et quelques autres. J’y fus adjoint. Notre principale occupation était de rassembler, au pied des Pyrénées, une petite armée d’enrôlés volontaires, qui aurait pénétré en Espagne sous la conduite des généraux réfugiés, et dont l’apparition aurait donné le signal aux patriotes de l’intérieur. Nous adressâmes dans les provinces, aux correspondans de la société, des commissions pour recueillir des secours, et nous reçûmes, à Paris, des souscriptions nombreuses. Hors M. Laffitte qui refusa, tous les ministres, y compris M. Sébastiani, nous remirent leurs offrandes personnelles ; j’ai encore entre les mains des signatures qu’on peut être étonné de trouver aujourd’hui sur une liste de souscription si révolutionnaire : MM. Berlin de Vaux, Baillot, Gautier, Jacques Lefebvre, Rambuteau, Bérenger, Cunin-Gridaine, etc., etc. M. Casimir Périer, alors ministre sans portefeuille, autorisa son fils aîné à faire partie du comité espagnol, donnant ainsi à nos opérations une couleur presque officielle. Mais M. Guizot, plus que tout autre, nous fournit les moyens de rassembler à la frontière les petites troupes recrutées à Paris. Chaque jour, les voitures publiques avaient un certain nombre de places réservées pour le comité, et destinées à transporter à Bayonne ou à Perpignan les émigrés qui prenaient du service. Des caisses d’armes et d’équipemens étaient expédiées par la même voie. Enfin, d’après l’ordre de M. Guizot, on délivrait à la préfecture de police, sur la simple signature de quelques membres du comité, des feuilles de route collectives pour les volontaires français, italiens, allemands, qui se rendaient à la frontière, et des troupes de cinquante, cent, deux cents