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étonne ; vous admirez ces dimensions gigantesques, et le cerveau puissant qui a donné une telle forme à sa pensée. Vous sentez s’émouvoir en vous le sentiment de l’immensité, comme cela vous est arrivé jadis en face de l’océan. Tant d’harmonie et de grandeur vous absorbe ; vous croiriez faire un sacrilége en demandant à cette merveille des conditions d’étendue et de hauteur. Cependant le matin se fait, les hirondelles et les ramiers quittent leurs nids de pierre, le soleil darde en plein ses rayons sur les rosaces du portail, et votre rêverie disparaît avec le dernier voile du brouillard qui tombe. Alors la cathédrale se révèle à vous dans tout l’éclat de sa variété naturelle ; alors vous découvrez des richesses sans nombre auxquelles vous n’avez pas pris garde en votre étonnement. C’est Marie à genoux recevant la visite de l’archange, c’est Lazare sortant du sépulcre sous l’imposition des mains ; et vous êtes ébloui par la céleste et naïve expression de ces figures dont tout-à-l’heure vous ne supposiez pas seulement l’existence. Que serait-ce donc si vous alliez plus avant sous la nef et dans le chœur, là-bas, où se tiennent assis au milieu de leurs peintures Albert Dürer et Jean de Bruges ? Telle est l’œuvre de Jean-Sébastien Bach ; à mesure que vous entrez plus profondément en elle, vous y trouvez des trésors de mélodie et de science, des combinaisons nouvelles et curieuses, et mille choses enfin que l’intelligence la plus vaste ne peut embrasser qu’à la condition d’une étude persévérante. Que celui dont les chagrins ont flétri l’ame jeune se voue à l’étude de ces œuvres, il y trouvera des consolations sévères et durables, et des plaisirs calmes et renaissans. Il pourra vivre heureux sur la terre, et d’émotion en émotion s’acheminer jusqu’à la tombe, comme un oiseau blessé gagne de branche en branche le nid dans les bruyères. Il verra chaque jour de nouvelles étoiles resplendir à ce firmament sonore, et fermera sa paupière avant de les avoir toutes comptées.


Henri Blaze.