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autour de lui le champ est vide et désert. Jamais, on peut le dire hardiment, une fugue n’a été écrite qui puisse être comparée à la moindre des siennes. Qui ne connaît point les fugues de Jean-Sébastien Bach ignore parfaitement ce qu’est ou doit être une fugue.

La fugue, telle qu’on la comprend d’ordinaire dans les écoles, est une sorte de travail insignifiant et puéril. On prend un thème, on lui donne un compagnon, on les transpose tous les deux, l’un après l’autre en des tons relatifs, en ayant soin, dans toutes ces transpositions, de les soutenir par les autres tons, au moyen d’une espèce de basse fondamentale. Voilà ce que l’on est convenu d’appeler aujourd’hui une fugue. Vous devez bien penser qu’il en est autrement de la fugue de Sébastien ; celle-là satisfait à toutes les exigences d’une composition libre. Un thème caractéristique, un chant qui en dérive et se répand comme un ruisseau dans les moindres sentiers du labyrinthe harmonieux ; chez toutes les autres voix, un motif indépendant, une parfaite intelligence de l’ensemble, et, du commencement à la fin, une allure franche et libre, une fusion miraculeuse des élémens les plus divers, une inépuisable richesse de modulations, unité et variété dans le style, dans le système, dans les carrures, et enfin, une telle animation, une telle vie répandue sur le tout, qu’à chaque instant il semble à l’homme qui se tient au clavier que les notes se transfigurent et resplendissent sur les lignes des pages. Voilà les qualités de la fugue de Bach, qualités merveilleuses et qui doivent exciter l’étonnement et l’admiration de tout homme capable de comprendre quelle puissance d’esprit surnaturelle il faut pour satisfaire aux innombrables conditions d’un tel œuvre. Toutes les fugues de Bach réunissent les mêmes avantages ; toutes se recommandent par des qualités sans nombre, et cependant chacune est belle à sa manière ; chacune a son caractère déterminé, et dans la mélodie et l’harmonie, ses formules qui en dépendent, de telle sorte que lorsqu’on connaît une fugue de Jean-Sébastien, et que l’on est parvenu à l’exécuter, on n’en connaît véritablement et ne peut en exécuter qu’une seule, tandis que pour savoir par cœur toutes les fugues des maîtres de son temps, il suffit d’avoir découvert les mystères de l’une d’elles.

Ce fut à Weimar que Sébastien eut pour la première fois l’occasion de s’occuper de musique vocale. Ici, comme toujours, son style est solennel, religieux, et tel qu’il convient au sujet. Une