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JEAN-SÉBASTIEN.

Cette manière de registrer était le fruit d’une connaissance profonde de la construction de l’orgue et de toutes ses voix. Il s’était habitué de bonne heure à donner à chacune la mélodie conforme à sa nature, et ce fut ainsi qu’il trouva mille combinaisons nouvelles, auxquelles autrement il n’aurait peut-être jamais pensé. Sébastien tenait de la nature et de ses études sévères une faculté bien rare : il découvrait dans toute chose son rapport avec la musique, et quand le fil qui liait un objet à son art, eût été plus imperceptible cent fois et plus ténu que le moindre rayon de lumière, il n’eût pas échappé à son regard pénétrant, qui s’en emparait aussitôt. La persévérance qu’il mettait à exécuter les grandes compositions en certaines enceintes dont il avait découvert la propriété sonore, l’instinct merveilleux qui lui faisait surprendre une faute dans la musique la plus laborieusement écrite, et saisir comme avec le doigt une petite note qui fuyait, cherchant à se dérober dans le torrent de l’harmonie ; tout cela peut servir de preuve à ce que j’avance. En l’année 1747, comme il se trouvait à Berlin, on le conduisit dans la nouvelle salle de spectacle. Dès le premier coup d’œil, il découvrit tout ce qui pouvait y être avantageux ou défavorable à la musique. Ensuite, il entra dans le foyer, parcourut la galerie qui régnait tout autour, examina la voûte, et dit à ceux qui l’accompagnaient : « Messieurs, l’architecte a fait ici une œuvre d’art sans le vouloir peut-être et sans que nul de vous s’en doute. » En effet, telle était l’ordonnance de la voûte que le son, parti d’un point, allait tomber de l’autre sans se répandre dans la salle. Il montait d’un seul jet, s’inclinait ensuite comme un arc-en-ciel harmonieux, de sorte que deux personnes, la face tournée du côté de la muraille, pouvaient converser ensemble, à l’insu de tous les assistans. Et que l’on ne s’y trompe pas, la sagacité spéculative de Jean-Sébastien contribua peut-être plus que tout autre chose à le conduire, par un assemblage inoui des différentes voix de l’orgue, à certains effets inconnus avant lui, et qui paraissent de nos jours impossibles.

La pédale est une partie essentielle de l’orgue ; c’est cet appareil solennel qui donne à l’instrument du sanctuaire sa puissance et sa grandeur, et l’élève au-dessus de tous les autres. Sans la pédale, l’orgue perd sa magnificence et rentre dans la classe de tous les claviers stériles qui font la désolation éternelle du maître, en excitant chez lui un enthousiasme qu’ils sont ensuite inhabiles à