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sortent et flottent quelque temps au hasard, et ce n’est que sous la voûte immense du sanctuaire qu’ils peuvent se réunir et se former en un tissu mélodieux. La musique des orgues est lente et solennelle. Celui qui tient les voix divines en sa puissance, celui qui s’en est rendu maître par l’étude et la foi, arrive au sanctuaire sous l’inspiration de la fête qu’on y célèbre. Il faut que les voix de la tristesse et de la douleur chantent haut dans son ame, et ce n’est qu’à cette condition qu’il peut les transmettre à la foule. Il monte à la tribune. Sa première phrase est grandiose et simple ; la seconde ressemble à la première par la mesure et l’expression, et cela doit être. La cathédrale est vaste, et roule son bruit long-temps en ses entrailles profondes ; or, bien souvent une phrase éclate sur le clavier de l’orgue lorsque celle qui l’a précédée ne s’est pas tout-à-fait exhalée encore ; et voilà pourquoi la musique des orgues doit être exempte de diffusion, arrêtée et logique.

L’orgue, par ses préludes et ses ritournelles, élève et maintient l’ame sur des sommets divins qu’elle atteindrait peut-être un jour, livrée à ses propres forces, mais d’où certes elle tomberait bientôt, si les ailes de l’harmonie ne s’ouvraient autour d’elle. Cette musique bienheureuse passe, emportant l’affliction du présent et les pensées terrestres qui sont comme la poussière qui ternit le splendide miroir de l’ame. Une phrase ordinaire et commune, quel que soit le vêtement dont on l’entoure, ne deviendra jamais solennelle et capable d’éveiller des sentimens élevés ; il faut donc la tenir loin des orgues. Et qui jamais a mieux compris cela que Sébastien ? Avant lui, de grands musiciens religieux avaient accompli leur tâche. Allegri, Palestrina, Buxtehude, avaient préparé sa venue, et l’église garda leur voix sous ses arceaux, jusqu’au jour où celle de son fils bien-aimé se fit entendre.

Vraiment il est des hommes à qui la divinité fait une part bien belle en cette vie ; ils viennent au temps des fruits et des récoltes, et vendangent avec la vigne que d’autres ont plantée ; ils entrent dans le champ et fauchent les blés qui ruissellent encore des gouttes de sueur et des larmes de leurs frères qui se sont endormis la veille. Leur gloire à eux, c’est de faire une bonne journée de travail, de faucher les moissons épaisses et de les mettre en gerbe, d’en séparer les mauvaises plantes et les petites fleurs, de brûler les unes et de jeter les autres sur le bord du chemin, où les enfans qui passent