Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 7.djvu/747

Cette page a été validée par deux contributeurs.
743
JEAN-SÉBASTIEN.

procèdent par octaves et répondent à l’attouchement des doigts. Cependant le musicien, quelle que soit d’ailleurs sa puissance sur le piano, s’il veut jouer de l’orgue, doit commencer de nouvelles études, car ces deux instrumens, malgré leur affinité apparente, sont au fond dissemblables l’un de l’autre, tant par le style que par le but et la destination. Le piano a des chants légers et capricieux, des motifs entraînans, des notes rapides ; c’est l’instrument de la fantaisie, quelquefois aussi de l’inspiration, témoins Mozart et Beethoven. L’orgue est solennel et magnifique et chemine à pas lents. La musique du piano ressemble à ces odeurs exquises et voluptueuses qui enivrent avant qu’on ait pu les nommer, tant elles se dégagent par exhalaisons imperceptibles. La musique de l’orgue, au contraire, monte par larges bouffées comme les mâles senteurs de la plaine, comme les vapeurs de l’encensoir.

Nul mieux que Sébastien n’a senti cette différence profonde : après avoir atteint sur le piano une force aujourd’hui encore sans exemple, se sentant appelé plus haut dans son art, et d’ailleurs estimant la couronne de l’organiste préférable à toutes celles que la musique donne, il ne recula point devant les aspérités de sa nouvelle tâche. Le maître eut le courage de se faire écolier. Dès-lors il passa sans relâche de la théorie à la pratique, consuma ses nuits à lire les œuvres de Böhm, de Casp. Kerl, de Buxtehude, et ses jours à les exécuter. Il remua l’orgue dans ses entrailles, prit à part chaque voix de la grande harmonie, afin d’en mesurer l’étendue et la puissance, se rendit compte de toutes les ressources de la pédale et du registre ; enfin, s’initia dans les mystères de l’instrument de telle sorte, qu’il parvint à le connaître jusque dans les moindres détails de sa construction matérielle. Aussi, ce n’est pas lui qui jamais eût apporté dans le sanctuaire de ces airs de théâtre et de taverne ; ce n’est pas lui qui serait venu joyeusement éparpiller sur l’orgue de ces tristes motifs dont on amuse les salons ; il savait trop bien qu’il lui faut un plain-chant grave et sévère.

Les sons puissans de l’orgue ne peuvent se rassembler sur des motifs ingénieux et rapides ; il leur faut du temps pour se déployer. L’orgue est un vaste métier, l’artiste qui l’émeut un tisserand sublime, et les sons, pareils à des fils de soie et d’or, en sortent par milliers aux heures du travail, les uns aigus, les autres graves, ceux-ci traînans et solennels, ceux-là joyeux et métalliques. Ils