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JEAN-SÉBASTIEN.

son réveil, vit les premiers rayons du matin glisser à travers ses rideaux. Ses yeux, fermés hier, s’ouvraient à la lumière. Étrange phénomène que celui qui se passe chez l’homme aux heures de sa fin ! Les ténèbres qui, pendant la démence, emplissaient son esprit, se dissipent alors, et l’idée apparaît de nouveau, fraîche et radieuse. L’aveugle voit, le sourd entend, le muet disserte à voix haute, et le perclus se meut. Peut-être la Mort rend-elle à l’homme toutes ses facultés, afin qu’il puisse la regarder en face et lutter dignement avec elle ; peut-être aussi tout cela n’est-il qu’une ironie affreuse, qu’une démonstration terrible de sa toute-puissance. Voilà ce que tu étais hier, voici ce que je te fais aujourd’hui : compare !

Après avoir remercié le Seigneur de ce rayon de céleste lumière qui le visitait dans sa souffrance, Sébastien se mit à regarder ses enfans l’un après l’autre, et bien souvent des larmes de joie obscurcirent sa vue à peine recouvrée. Ensuite il se hâta de jouir encore une dernière fois de l’aspect de la belle nature, sentant bien que le lendemain peut-être il ne serait plus temps. Il se fit ouvrir la fenêtre, et sur-le-champ un fleuve de lumière inonda sa couche. À travers toutes ces gerbes ardentes dont l’œil d’un aigle eût à peine soutenu l’éclat, lui, mourant, voyait sur un fond calme et bleu les étoiles éclore et resplendir. On eût dit que la nature, pressentant la fin de son bien-aimé, lui donnait à la fois le double spectacle de la nuit et du jour. Comme un homme placé dans un puits, Sébastien, les deux pieds dans la fosse, comptait à midi les étoiles du firmament. Dans sa naïve extase, il les nommait à ses enfans qui tiraient un funeste présage de cette perspicacité subite, et pleuraient à ce triste penser, que leur père était assez profondément tombé dans l’abîme pour compter les étoiles à cette heure où le regard terrestre ne peut les percevoir. Enfin, il demanda ses fleurs, les belles fleurs qu’il cultivait avec tant d’amour pendant les dernières années de sa vie ; il eut plaisir à voir sur chaque tige les boutons nouvellement éclos, respira leur parfum, détacha les feuilles parasites, et leur dit adieu, les recommandant à la rosée. Ensuite il causa quelque temps avec sa famille, et vers le soir, se sentant fatigué, il s’endormit. Hélas ! deux heures après, l’ange de la lumière était remonté à son foyer divin, et le malheureux, frappé d’un coup de sang, subissait les premières ardeurs de cette fièvre qui devait bientôt l’emporter.