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JEAN-SÉBASTIEN.

préludes, tous reconnurent la facilité merveilleuse du maître ; mais ce qui les mit dans la stupeur et le ravissement, ce fut cette exécution large, simple et sévère, cette magnificence de style, qui ne pouvait se déployer que sur le vaste champ de l’orgue. En effet, hier il était dans un salon étroit, aujourd hui dans une cathédrale ; hier il n’avait pu prendre son essor, l’espace lui manquait : aussi l’oiseau royal, il fallait le voir ce matin gonfler ses ailes et monter au plus haut de la voûte et frapper de sa tête les murailles retentissantes, puis descendre et jouer sur la dalle, et se baigner dans le soleil, dont les rayons allumaient sur sa plume les sept couleurs de l’arc-en-ciel. Quant à cette variété de mélodie, à cette abondance heureuse qu’on avait tant admirée la veille, elle s’était accrue en proportion de la nature de l’instrument et de la solennité du lieu. C’était bien toujours cette onde intarissable, seulement elle se répandait impétueuse et mugissante, à la manière des grands fleuves et des torrens ; car cet homme qui savait se suffire tout un soir à lui-même et variait à l’infini sa pensée, sans jamais s’épuiser, devait nécessairement se sentir bien à l’aise et ne produire que des choses sublimes, aujourd’hui qu’il avait un moment pour se recueillir entre deux improvisations, et qu’en cheminant d’une église vers l’autre, il traversait de belles promenades et des jardins en fleurs, et pouvait retremper son esprit dans toutes les fraîches images de la nature.

Pendant les trois premières heures, Sébastien avait tellement prodigué la mélodie et la science, qu’il semblait à la fin que la source de son inspiration dût être tarie. Pour terminer dignement la journée, il se disposait à réunir dans une vaste symphonie les idées sans nombre qu’il venait de semer sur tous les claviers de la ville, lorsque, dans la dernière église qu’il visitait, un spectacle douloureux s’offrit à lui. Son ame sentit ses cordes se détendre et s’amollir sous des ruisseaux de larmes.

Une jeune fille était morte, et ses compagnes en voiles blancs, se tenaient à genoux autour d’elle. Sitôt l’office terminé, elles se levèrent, et chacune à son tour vint faire ses adieux à son amie, et secouer sur le linceul des larmes d’eau bénite. Frédéric fut ému profondément en face de cet appareil de tristesse et d’affliction. Quand tout le pâle cortège eut défilé devant ses yeux, le roi, voulant aussi rendre hommage à la morte, prit des mains de la dernière jeune fille le rameau consacré, le secoua, puis tendit le bras à