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JEAN-SÉBASTIEN.

tion au plus haut degré. Il avait choisi pour sujet de sa fugue le texte latin super fulmina Babylonis, qu’il varia pendant une heure, selon les lois les plus sévères de la science. Quand il eut fini de jouer, essuyant la sueur de son front, il descendit de la tribune, incertain de l’effet qu’il avait produit. Une foule immense l’attendait au bas de l’escalier, et devant la porte se tenait le vieux Reinken, organiste centenaire, qui ce jour-là s’était fait porter à l’église pour l’entendre. Le digne vieillard, ému jusqu’aux larmes, s’approcha de Sébastien, et lui serrant la main : « Mon fils, dit-il, je croyais le grand art mort pour toujours, et je suis bien heureux de voir qu’il vit encore en vous. » Reinken avait, dans sa jeunesse, travaillé le même sujet, et composé avec ce plain-chant une œuvre à laquelle il tenait beaucoup et qu’il avait fait graver en cuivre. L’éloge n’en était que plus glorieux pour Jean-Sébastien.

Après la mort de Kuhnau, en l’année 1723, Sébastien fut nommé directeur de la musique de Leipzig ; il conserva cet emploi jusqu’à la fin de sa vie. La mort du prince Léopold suivit de près le départ de son maître de chapelle ; Sébastien en fut profondément affligé. Il écrivit à cette occasion une messe avec double plain-chant, et vint à Gotha pour en diriger lui-même l’exécution.

Le second fils de Bach, Charles-Phil.-Emmanuel, passa au service de Frédéric en l’année 1740. La gloire de Sébastien était parvenue aux oreilles du roi, qui manifesta le désir d’entendre un si grand artiste. Emmanuel, flatté de ce témoignage de bienveillance, en instruisit son père ; mais Sébastien, occupé comme il l’était par les devoirs de sa nouvelle charge, ne pouvait pas facilement se déranger, et, soit oubli, soit négligence, il avait toujours différé ce voyage. Les rois n’aiment pas qu’on leur résiste. Frédéric s’étonna de ce peu d’empressement et s’en plaignit avec amertume. Sébastien, averti de la disgrace qui menaçait Emmanuel, entreprit le voyage de Potsdam en compagnie de Wilhelm Friedmann, l’aîné de ses enfans.

À cette époque, Frédéric avait habituellement de petits concerts dont il faisait lui-même les honneurs en jouant de la flûte. Un soir il préparait son instrument ; tous les musiciens étaient rangés autour de lui, le silence le plus profond régnait dans l’assemblée, lorsqu’un officier entra apportant la liste des étrangers arrivés dans la journée à Potsdam. Le roi lui fait signe de la déposer sur le pupitre, et la parcourt des yeux en préludant ; tout à coup la flûte s’arrête au mi-