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habitait le palais, et venait chaque jour s’asseoir à la table de Léopold, qui le consultait sur les affaires d’administration et de politique. Cette amitié ducale, tout honorable qu’elle était pour le jeune artiste, finit cependant par lui devenir importune ; et bien souvent, dans les promenades, tandis que tous enviaient l’heureux musicien qui passait en si grand équipage, lui, rêveur et soucieux, était tenté de dire à Léopold : « Faites monter quelqu’un de ces beaux courtisans, il vous fera bien plus d’honneur que moi dans ce carrosse, et je profiterai de mon loisir pour aller écrire une sonate. » Combien de fois il dut regretter amèrement sa petite chambre si modeste et si bien close d’Arnstadt, et ses longues journées qui s’écoulaient dans la solitude et le travail ! Ici, plus de repos, plus de recueillement, plus d’inspiration ; les familiers du prince entraient chez lui à toute heure.

Tous les soirs Léopold réunissait les plus jolies femmes de sa cour, distribuait sa partie à chacune, et chargeait son maître de chapelle de conduire le chœur. Le concert se prolongeait souvent au-delà de minuit, et Sébastien, épuisé de fatigue, allait oublier dans le sommeil toutes ces voix discordantes qui tintaient à ses oreilles. Il passait la journée à s’entretenir avec les courtisans, et la soirée à faire chanter leurs femmes. Le malheureux ! il avait à subir les fatuités des uns et les fausses notes des autres. Comme on le voit, il ne lui restait guère que le matin pour son travail d’étude et de composition. Aussi, comme il profitait bien des premières heures ! Dès l’aube il était à son clavier et chantait en même temps que l’alouette ; mais hélas ! trop souvent après ses premiers préludes, quand la mélodie allait se révéler, on frappait à sa porte : c’était le prince qui l’avait entendu et venait en robe de chambre assister aux improvisations matinales de son ami. Pauvre Sébastien, il te fallait ton sang-froid d’Allemand et ta patience d’ange pour ne pas envoyer à tous les diables celui qui venait troubler ton paradis et faire rentrer dans le calice toutes ces fraîches idées qui remuaient déjà leurs ailes ! Grâce à l’affection toujours croissante de Léopold, Sébastien ne pouvait s’absenter un seul jour de Gotha ; et ce ne fut qu’après quatre ans qu’il obtint, à force de prières, un congé de deux mois, pour se rendre à Hambourg et s’y faire entendre sur l’orgue.

Là, comme partout, sa manière élevée et simple excita l’admira-