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JEAN-SÉBASTIEN.

comme sur son dieu la sibylle antique : Apollon descendait de l’Olympe et venait à Delos chaque fois que la sibylle mâchait du laurier ou trempait ses cheveux dans la fontaine de Castalie ; et sitôt que l’organiste entonnait son cantique sous les arceaux profonds, la blanche déesse laissait le royaume des esprits et venait s’asseoir auprès de lui.

D’autres ont des familles nombreuses, une mère qui les élève et les nourrit, de blondes sœurs qui les viennent embrasser le matin ; mais lui, tout seul sur la terre, il n’avait que son orgue et son inspiration, et trop jeune encore pour se marier, trop aimant pour vivre sans famille, il s’en était fait une, en attendant le jour où sa vieille tige refleurirait en lui. L’église était la mère à laquelle il vouait toute son existence ; il appartenait de droit à celle qui l’avait accueilli dans la misère. L’église était à la fois sa maison et son univers ; là ses études, là ses rêveuses promenades sous les grands arbres de granit ; là ses heures de repos pendant le salut du soir. Et plus il avançait dans la vie, plus il se réjouissait d’habiter ce monde de paix et de béatitude. Sur une ame chaste et pure, dévorée du grand amour de l’art, comme la sienne, que pouvaient en effet la terre et ses passions froides et chétives ? « Le royaume des sens, disait-il, est stérile ; il a bientôt fini de vous dérouler ses plaisirs et ses peines ; la comédie est bientôt au bout et recommence. Le royaume de l’esprit, au contraire, est inépuisable comme celui de la nature ; et depuis que je l’habite, il n’est pas de jour où je ne trouve quelque harmonie nouvelle, quelque mystique rayon qui se dérobait sous l’herbe comme un insecte invisible. »

Le maître de Handel, l’organiste Zaschau, vint à mourir ; Sébastien, célèbre dans toute l’Allemagne, fut appelé à lui succéder. Il se rendit à Halle, exécuta sa fugue de réception, et partit aussitôt pour Weimar, laissant cette place à l’élève le plus distingué de Zaschau. Il était depuis deux mois à Weimar, lorsqu’il reçut une lettre du prince Léopold de Gotha, qui l’invitait à se rendre auprès de lui avec le titre de maître de chapelle. Sébastien accepta, et demeura six ans en cet emploi.

Léopold, amateur érudit et passionné de musique, s’était pris d’affection pour le génie de Sébastien à la simple lecture de ses œuvres ; dès qu’il le vit, il aima sa personne, et l’organiste fut bientôt pour le prince un confident indispensable. Le maître de chapelle