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Cependant les cloches cessèrent de sonner ; le prêtre vint s’agenouiller au pied de l’autel, et tout à coup l’orgue se mit à chanter spontanément. Si les vierges et les séraphins, descendant par miracle de leurs niches de pierre, fussent venus en procession prendre part aux célestes louanges, les habitans d’Arnstadt n’eussent pas été plus stupéfaits qu’ils ne le furent, lorsque cet orgue, muet depuis trois mois comme une tombe, s’éveilla en glorieuses fanfares. L’étonnement fut général. Le prêtre qui récitait à l’autel, détourna la tête pour voir d’où venait toute cette harmonie, et les enfans de chœur se trompèrent deux fois dans leurs réponses. L’orgue continuait sans s’émouvoir ; il chanta pour le graduel, il chanta pour l’offertoire, il chanta pour l’élévation. Jamais l’office divin n’avait été plus auguste et plus magnifique. Il fallait voir comme les grands crucifix d’or et d’argent, comme les grands cierges allumés, comme les yeux des jeunes filles resplendissaient à travers un mystique brouillard d’harmonie et d’encens !

— Quel musicien terrestre pourrait jamais atteindre à cette magnificence ! s’écriait maître Sebald, dans l’extase où le plongeait un largo triomphalement exécuté.

— C’est un ange qui est là-haut assis dans la tribune, disait la petite Gretchen à sa voisine ; la Vierge n’a pas voulu que la bonne ville d’Arnstadt pleurât ses orgues un si grand jour de fête !

Mais les assistans étaient loin d’être tous d’accord sur la nature du mystérieux organiste ; et voici ce que rapporte à ce sujet l’historien allemand. Je cite ses propres paroles :

« Comme je voulais, selon mon habitude, mettre à profit toutes les suppositions que cette musique inattendue allait faire naître parmi les fidèles, je me glissai dans la foule ; je fis le tour de l’église en recueillant les paroles qui tombaient de toutes les bouches. Chacun inventait sa légende, et toutes ces fleurs exhalaient un égal parfum de mysticisme qui vous transportait au milieu du jardin d’un cloître du moyen-âge. L’élévation sonna ; je fermai les yeux pour écouter avec plus de recueillement un céleste prélude, un chant si frais et si pur, qu’il était en parfaite harmonie avec le grand mystère qui s’accomplissait à l’autel. Lorsque la clochette de l’enfant de chœur et le mouvement de l’église entière m’éveillèrent de ce divin sommeil, j’aperçus à mon côté maître Martin Wiprecht, musicien de la ville ; il était tout en larmes, et soupi-