Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 7.djvu/726

Cette page a été validée par deux contributeurs.
722
REVUE DES DEUX MONDES.

dale obligée de Buxtehude, sur laquelle il serait bien aise, disait-il, d’avoir l’avis d’un jeune homme qui donnait de si grandes espérances. Sébastien tressaillit de plaisir, et courut s’enfermer dans sa chambre avec son trésor. Certes, lorsqu’il entendait les cloches ébranler les murailles de son laboratoire et regardait bouillir sa fiole, le vieux Wagner était moins occupé à ses fourneaux que ne le fut ce jour-là Jean-Sébastien à son clavier. L’art en effet est une chimie qui mêle ensemble pour un grand œuvre, au lieu de sucs mystérieux, des couleurs et des sons. Si vous craignez comme une maladie le désir qui vous exalte l’ame et l’emporte aux régions de lumière où Dante a vu Béatrix, Pétrarque Laure, Hoffman dona Anna, ne vous inclinez jamais sur les partitions de Don Juan ou de Freyschütz, pas plus que sur les fourneaux de Paracelse, car il s’en exhale des vapeurs dangereuses qui pourraient vous donner le vertige. Ainsi absorbé devant la fugue de Buxtehude, Sébastien en attirait à lui les étincelles et les flammes mystérieuses. Deux heures n’avaient pas suffi à son travail ; il venait de terminer la fugue pour la sixième fois, lorsqu’il la commença de nouveau, et s’arrêta long-temps sur un passage dont il cherchait sans doute à deviner le style, car il l’exécutait tantôt avec impétuosité, tantôt avec calme et largeur, mais toujours en branlant la tête comme un homme qui doute et s’aperçoit qu’une chose est incomplète. Tout à coup il se lève, ferme son clavecin, prend son chapeau et sort.

Jean-Sébastien traversa la ville, et comme s’il eût cherché la solitude pour composer quelque nouveau motet, se dirigea du côté de la porte de Lubeck.

Huit jours après, à la grand’messe, quand le prêtre donna la réplique, l’orgue n’éleva point la voix comme à son ordinaire. L’inexactitude fut remarquée, et le bedeau se hâta d’aller à la tribune afin d’avertir l’organiste de se tenir sur ses gardes une autre fois. Mais le bedeau trouva la porte fermée, et l’organiste manquait à son poste. Cette nouvelle se répandit de bouche en bouche, et en moins de dix minutes elle avait fait le tour de l’église et mis le trouble parmi les assistans.

Trois mois s’étaient écoulés depuis la disparition de Jean-Sébastien, et ces bons bourgeois, qui s’étaient tant émus le premier jour, avaient fini par se contenter, pour toute musique religieuse, de quelques voix de basse et de fausset, qui s’accordaient tant bien que