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LETTRES SUR L’ISLANDE.

nous écarter, la nuit nous veillions chacun à notre tour, afin de donner le signal à nos compagnons de voyage. Plusieurs fois nous fûmes réveillés par les cris de celui qui montait la garde. Le bassin du Geyser commençait à s’agiter. On entendait un bruit souterrain pareil à celui du canon, et le sol tremblait comme s’il eût été frappé par des coups de bélier. Nous courions en toute hâte au bord de la colline ; mais le Geyser, comme pour se jouer de nous, montait jusqu’au-dessus de sa coupe de silice, et débordait lentement comme un vase d’eau qu’on épanche. Enfin après deux jours d’attente, nous fîmes jaillir le Strockr, en y faisant rouler une quantité de pierres et en tirant des coups de fusil. L’eau mugit tout à coup, comme si elle eût ressenti dans ces cavités profondes l’injure que nous lui faisions, puis elle s’élança par bonds impétueux, rejetant au dehors tout ce que nous avions amassé dans son bassin, et couvrant le vallon d’une nappe d’écume et d’un nuage de fumée. Ses flots montaient à plus de quatre-vingts pieds au-dessus du puits, ils étaient chargés de pierres et de limon ; une vapeur épaisse les dérobait à nos regards, mais, en s’élevant plus haut, ils se diapraient aux rayons du soleil, et retombaient par longues fusées comme une poussière d’or et d’argent. L’éruption dura environ vingt minutes, et deux heures après, le Geyser frappa la terre à coups redoublés, et jaillit à grands flots, comme l’eau du torrent, comme l’écume de la mer, quand le vent la fouette, quand la lumière l’imprègne de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.

Nous assistions alors à l’un des phénomènes naturels les plus curieux qui existent ; mais ce qui a rendu notre séjour au Geyser plus intéressant encore, ce sont les observations de géologie et de météorologie faites par deux de nos compagnons de voyage. M. Robert a recueilli autour de ces sources brûlantes des échantillons curieux de lave et de silice, et M. Lottin a fait une importante découverte. Jusqu’ici on avait cru que les sources d’eau bouillante ne s’élevaient pas au-dessus de cent degrés. En plaçant dans celles du Geyser trois thermomètres centigrades, M. Lottin s’est assuré qu’elles montaient à près de cent vingt-quatre, et le soin consciencieux, l’habileté avec laquelle cette observation a été faite doivent être une garantie pour tous ceux qui seraient tentés de révoquer en doute un tel résultat.

Une fois notre travail achevé, nous reployâmes notre tente, et nous partîmes pour Skalholt en saluant gaiement le Geyser, comme des moissonneurs saluent le champ où ils ont récolté.

Quand on parle de l’Islande, l’un des premiers noms sur lesquels se reporte d’abord la pensée, c’est celui de Skalholt. C’est la vieille capitale de cette fière aristocratie des Jarl, qui auraient voulu faire de chacun de leur village une capitale. C’est la véritable Athènes de ces landes du Nord,