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voyageurs, qui, dans les mauvais temps, ne pourraient reposer sous une tente. L’église n’est du reste que comme un appendice de la ferme du prêtre. C’est là qu’il vient écrire, c’est là que sa femme étend la laine ; et le tribut que les étrangers lui paient pour y passer une nuit ou deux, il le garde pour lui.

Le lendemain nous étions en route pour le Geyser, et nous nous arrêtions avec surprise auprès du cratère de Tentron, dont le sommet, chargé de scories de lave, est comme une cheminée ouverte prête à lancer encore la flamme et la cendre. De là, on ne marche qu’à travers un sol dévasté, jusqu’aux sources chaudes de Langarvatn. Nous voyageâmes tout le jour et toute la nuit. Le matin au lever du soleil, nous passions sur une mauvaise planche la large cascade de Bruara, et deux heures après nous étions au milieu des vapeurs du Geyser. La température avait changé complètement. Le thermomètre était descendu de 12 degrés à 0, et un vent violent soufflait dans la plaine.

Les sources bouillantes du Geyser sont situées sur une colline, au-dessus d’une plaine marécageuse, fermée par une ceinture de montagnes noires qui donnent à toute cette contrée un caractère de deuil et de tristesse. Au milieu le mont Hécla lève sa tête blanche, et à l’extrémité apparaît le Blaafial, plus chargé de neige encore que l’Hécla. Le grand bassin du Geyser est entouré d’une croûte épaisse de silice, taillée par parcelles comme une écaille de tortue. Il a 16 mètres de largeur et 23 de profondeur. Près de là est le Strockr[1] qui partage avec le grand bassin l’admiration des voyageurs. Mais à chaque pas sur la colline, on rencontre une quantité d’autres sources, celles-ci larges et profondes, ouvrant leur bassin de silice rose, et leurs cavités bleues comme l’azur du ciel, celles-là commençant à peine à sortir de terre, et fumant à travers le gazon qui les recouvre à demi. De chaque côté, l’eau de ces sources se répand sur le sol qu’elle pétrifie, et la vapeur qui s’échappe de la chaudière ardente, s’en va comme des nuages de fumée à travers la plaine. Aussi je comprends maintenant la naïve pensée de ce vieil auteur du Kongs-Skugg-Sio[2], qui, ne sachant comment expliquer cette chaleur souterraine, écrivait, dans sa candide ignorance, que toutes ces sources étaient autant de fournaises où le démon faisait bouillir les damnés.

Le Geyser ne jaillit pas régulièrement. Il est soumis à l’influence de la pluie, du vent, des saisons. Nous avions établi notre tente entre les sources mêmes, afin de voir l’éruption de plus près, et nous l’attendions avec impatience dès le moment de notre arrivée. Le jour, nous craignions de

  1. Geyser vient de Geys (Furens). Strockr en islandais signifie pyramide.
  2. Livre islandais curieux, écrit entre 1140 et 1270, traduit en latin sous le titre de Speculum regale, imprimé à Sorœ en 1768, in-4o.