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LETTRES SUR L’ISLANDE.

taient l’empreinte de la misère, qui nous demanda dans un langage barbare, mêlé de latin, de danois et d’islandais, si nous voulions acheter du lait et du poisson. C’était le prêtre de Thingvalla. Le sort des prêtres dans ce pays est triste, plus triste encore que celui des prêtres d’Irlande, sur lesquels on s’est si souvent apitoyé. Ils ne reçoivent rien du gouvernement. Ils ont pour tout bien la jouissance de la ferme qui appartient à l’église, et le quart des dîmes payées par leur paroisse. Si la veuve de leur prédécesseur vit encore, ils sont obligés de lui abandonner une part du produit de la ferme. Si la vieillesse ou les infirmités les empêchent de faire leur service, on leur donne un chapelain avec lequel ils partagent encore leur mince revenu. Ils ont une certaine taxe pour les diverses cérémonies du culte, mais cette taxe est très légère, et les paysans la paient avec du beurre et du poisson. Il y a certaines églises où le produit de la dime, du casuel et de la ferme ne rapporte pas plus de 20 à 30 thaler (60 ou 90 fr.) ; celle de Thingvalla est de ce nombre. Les prêtres ne peuvent plus exiger de corvées de leurs paroissiens. La seule prérogative dont ils jouissent encore, c’est de pouvoir placer à la fin de l’automne, dans chaque bœr, un mouton que le paysan s’engage à nourrir pendant l’hiver, et à leur rendre au printemps. Ne pouvant vivre avec ce peu de ressources, le prêtre est obligé de travailler comme le plus pauvre habitant de son district ; il cultive sa ferme, il ferre ses chevaux, il va à la pêche, il est, pendant six jours de la semaine, pêcheur et paysan. Le septième il revêt le surplis et prêche ses paroissiens. Le malheur est qu’avec cette vie de labeur, le prêtre finit par s’assimiler aux bateliers avec lesquels il passe une partie de son temps. En travaillant comme eux, il prend l’habitude de boire de l’eau-de-vie comme eux. Il oublie lui-même sa dignité de prêtre, et le dimanche, s’il prêche la patience et la sobriété, Dieu sait comment il doit être écouté.

La demeure du prêtre de Thingvalla était plus sale, plus misérable que toutes les demeures de paysans que nous avions visitées jusque-là. Dans une chambre obscure, humide, sur le sol nu, nous trouvâmes deux lits qui ressemblaient à des grabats. C’était le sien, celui de sa femme et de ses enfans. À côté, il y avait ses provisions qui se composaient de quelques pains de suif, d’un peu de seigle et de lait. Une vieille femme cardait de la laine dans une autre chambre, et un lépreux broyait le seigle sous une pierre. La lèpre est une maladie fréquente dans ce pays, mais les Islandais ne redoutent pas l’approche de ceux qui en sont affectés. Ils la regardent comme une maladie héréditaire, mais non contagieuse. Si le malheureux lépreux de la vallée d’Aoste était venu dans ce pays, il aurait pu y trouver des amis et une sœur.

Nous couchâmes le soir dans l’église. C’est le refuge habituel des