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LETTRES SUR L’ISLANDE.

nous apercevions, à une assez longue distance, l’enclos vert et les murs de gazon du bœr. Nous nous dirigions à la hâte de ce côté ; notre guide frappait, avec le manche de son fouet, trois coups à la porte, et le paysan venait nous recevoir, et la jeune fille islandaise, timide et curieuse, s’avançait, avec ses cheveux blonds sur l’épaule, pour nous offrir une jatte de lait. C’était un de nos délassemens de voyage d’entrer dans le bœr, si pauvre qu’il fut, et de causer avec le paysan, assis sur une tête de cheval dans sa cuisine enfumée. L’intérieur de ces habitations est d’ailleurs curieux à observer. Comme elles sont toutes éloignées l’une de l’autre et, pendant plusieurs mois de l’année, privées de communications, il faut que le propriétaire fasse en sorte d’avoir dans son étroit domaine ce dont il se sert habituellement. Ainsi sa demeure est divisée en cinq ou six compartimens rangés sur la même ligne. Dans l’un est la cuisine et la chambre où il couche avec ses domestiques, dans un autre la laiterie, dans un troisième la forge, les instrumens de menuiserie. C’est lui qui ferre ses chevaux, qui fabrique ses meubles. On a remarqué que les Islandais ont une aptitude particulière pour tous les ouvrages d’industrie. Cette aptitude a dû se développer par la nécessité où ils sont de pourvoir sans cesse eux-mêmes aux choses dont ils ont le plus pressant besoin. Avec la corne fondue, ils fabriquent des boucles pour leurs brides et des cuillères. Avec la laine ils tissent leurs draps, ils tressent leurs cordes. Dans la même chambre, une femme carde, foule et teint la laine destinée à faire une pièce de drap. Ils fabriquent, avec des os de baleine, des aiguilles, des boutons, des manches d’instrumens. Un morceau de lave leur sert de marteau, et un bloc de pierre, d’enclume. Dans les premiers mois d’hiver, avant le temps de la pêche, la plupart des paysans passent leurs longues veillées à ces travaux mécaniques. Il en est qui, à force de patience, parviennent à faire des sculptures en bois et des œuvres d’orfèvrerie remarquables. Nous avons vu un meuble islandais sculpté par un paysan avec un rare talent. L’œuvre finie, l’artiste avait écrit un nom au bas ; mais le bœr où il vivait l’a seul connu : combien d’hommes doués de grandes facultés restent ici sans développer leur génie, et meurent sous un de ces toits de gazon sans être connus !

Dans quelques parties de l’Islande, on découvre d’heure en heure des habitations de paysans rangées au bas d’une colline ; dans d’autres, nous passions des jours entiers sans en apercevoir une seule. Tout, autour de nous, avait l’aspect du désert ; tout était morne, sombre, et l’on n’entendait que le cri aigu du pluvier, ou parfois le bruit d’une troupe de cygnes qui s’envolaient à notre approche. Dans ces plaines abandonnées, on éprouve un vrai sentiment de joie, quand, par hasard, on vient à rencontrer une autre caravane. Alors les paysans islandais descendent de cheval et vont