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s’il ne devait rien rejaillir sur eux-mêmes de cette dégradation de la presse. D’où vient que la presse est placée plus haut en France qu’en Angleterre, si ce n’est de l’absence des personnalités qui défigurent nos journaux ? »

Nous ne saurions partager cette opinion. Sans doute un langage plus décent contribuerait à la dignité de la presse en Angleterre. Mais cette liberté d’invective n’est pas particulière aux journaux ; elle fait partie de la langue politique du pays. Le même jour où vous aurez lu dans le Times que le Morning-Chronicle est un polisson (scoundrel), et dans le Morning-Chronicle que le Times est un coquin (ruffian), vous entendrez O’Connell, dans un meeting, dire que les tories sont des voleurs. Les habitudes de la presse, en Angleterre, sont les mêmes que celles des chambres ; il se fait dans les deux camps la même consommation d’injures et de gros mots. Les Anglais ne sont pas des Athéniens.

Nous reconnaissons les avantages de la presse anglaise. Il n’y a pas de journaux au monde mieux informés, qui renferment une plus grande quantité ni une plus grande variété de renseignemens. Les propriétaires n’épargnent pour cela ni soins ni dépenses ; le Times, pour sa correspondance de Paris, dépense annuellement 4 à 5 mille livres sterling, somme égale à ce que coûte la rédaction entière d’un journal parisien. Qu’un meeting se tienne à Édimbourg ou à Manchester, on enverra deux reporters en poste et à grands frais pour recueillir les discours et les émotions. Tout ce que l’on peut faire avec de l’argent, nos voisins le font, et le font mieux que nous[1].

Mais écrire un journal ou le diriger dans des vues politiques, avec un plan de campagne et le coup-d’œil de l’homme d’état, voilà ce que l’on ne sait pas en Angleterre. Les journaux anglais ont

  1. La Revue de Westminster a cité deux exemples fort remarquables de la rapidité avec laquelle les nouvelles sont transmises par les journaux.

    « Un vaisseau arrive à Liverpool avec des dépêches qui contenaient la nouvelle d’une bataille décisive entre les royalistes et les patriotes de l’Amérique du Sud. Aussitôt que le navire fut signalé, l’agent expédia un bateau pour recevoir les lettres dont il était porteur. Quelques-unes de celles qui étaient destinées pour Londres y furent envoyées par un exprès. Elles arrivèrent à une heure et demie le lendemain. Lorsque la personne qui les avait reçues en eut fait usage à la bourse, elle les communiqua par faveur à un journal du soir, le Globe, et à trois heures et demie le banquier qui les avait communiquées recevait, dans la Cité, un numéro du journal qui en contenait la traduction. Un quart