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Semiramide, ces intarissables sources de mélodie et d’or, vont faire, encore une fois, tous les frais de l’hiver. À ce propos, il faut absolument que l’administration répare un oubli dont elle se rend coupable depuis deux ans envers l’un des plus grands maîtres de la scène italienne, et remette au répertoire le Mariage secret, où Lablache est si curieux. On peut, sur ce point, se fier à la bonne volonté de Rossini, qui ne laissera pas échapper l’occasion d’entendre l’adorable musique de Cimarosa, l’une de ses admirations les plus vives et les plus sincères.

L’Opéra-Comique se repose dans la solitude et le silence ; de temps à autre, le bonhomme se réveille de sa léthargie, et secouant sa perruque sous son bosquet de fleurs, fredonne quelque motif badin de Dalayrac ou de ceux qui savent encore aujourd’hui l’art divin d’écrire pour sa voix. En ce moment, l’Opéra-Comique, qui a brossé son habit vert pomme, se tient deux heures par jour debout sur ses petites jambes, pour répéter un acte de Mlle Loïsa Puget. Mlle Puget a composé pour Mme Damoreau plusieurs albums de romances, parmi lesquelles il y en a qui sont charmantes. Comme on le voit, Mlle Puget a des droits incontestables à notre seconde scène lyrique. Vous dire ici le nom de toutes ces romances, je ne saurais. En vérité c’est une chose des plus curieuses que les titres que l’on invente aujourd’hui ; la romance, si chétive qu’elle soit, n’a pas su échapper à ces transformations magnifiques, que l’on fait, de notre temps, subir à toutes choses. Les poètes de romances ont été plus furieux cent fois que les romantiques de la restauration. La romance a dévoré les ossemens, les cœurs d’homme, les poitrines de femme, dont la ballade ne veut plus. Autrefois la romance était tout bonnement une mélodie agréable et douce, dont la grâce tournait bientôt à l’afféterie et la simplicité à la niaiserie ; cela s’appelait d’ordinaire la fille à Nicolas, Rose et Lubin, le Rendez-vous sous l’orme ; on parlait beaucoup de lèvres vermeilles, de filles du hameau, de bocage et d’ombrage. Aujourd’hui les temps sont bien changés, et les choses ne se passent plus si gaiement ; ce ne sont que spectres qui sortent du tombeau, femmes qui se laissent mourir de faim, et bonnes lames de Tolède qui reluisent à la lune sous les balcons mauresques. La passion a tout envahi ; les notes pleurent, les paroles hurlent ; il y a du délire dans le titre et du désespoir dans les points d’exclamation qui dansent devant lui. Vraiment on ne sait où tout cela peut nous conduire, si M. Listz, ce grand modérateur de l’art social, ne se hâte d’écrire bien vite à Genève quelque long discours en cinq parties, dont ses amis de France s’empresseront de nous faire part. Quoi qu’il en soit, la partition de Mlle Loïsa Puget a nom le Regard. Certes, le titre est bien choisi pour un opéra-comique ; il y aura dans ce regard de l’amour, de la tendresse, de la mélancolie, des feux, de toutes ces choses enfin qui réjouissent tant les dilettanti de l’endroit. Fasse le ciel que ce regard éclaire M. Crosnier, et ne lui serve pas tout simplement à lui faire voir de plus près sa ruine ! M. Auber, ce musicien de tant de verve et d’esprit, prépare, de son côté un ouvrage en trois actes, dont il destine le rôle à Mme Damoreau. C’est sans doute sur cette partition que l’Opéra-Comique a mis son espoir de l’hiver. L’auteur de la Muette et de Fra Diavolo est un homme à qui le succès manque rarement. Si les Chaperons blancs ont échoué, la