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LES AMITIÉS LITTÉRAIRES.

l’ame s’amollit et s’énerve ; elle s’endort au bruit des applaudissemens, comme un enfant au bruit des chansons de sa nourrice. La poésie n’est plus pour elle qu’un jeu ou un métier. À quoi bon dépenser les nuits dans la méditation ? à quoi bon feuilleter les livres poudreux pour retrouver le sens des siècles évanouis, puisque l’admiration est acquise d’avance à toutes les paroles qui s’échapperont de la bouche du poète ? Pourquoi risquerait-il dans des veilles imprudentes la fraîcheur de ses joues et l’éclat de ses yeux, puisque la science n’ajouterait pas une feuille au laurier de sa couronne, puisque chacune de ses imaginations est acceptée comme une vérité ? Il ne peut faillir, il est inspiré ; il devine ce qu’il ne sait pas, ou plutôt il n’y a pour lui ni science ni étude. Il lui suffit de porter sa pensée sur un sujet quel qu’il soit, pour l’éclairer d’une subite lumière, pour en pénétrer toute la profondeur.

L’indolence n’est pas le seul danger de la popularité. La demeure du poète est bientôt trop étroite pour contenir ses admirateurs. Quand il luttait contre l’indifférence, et, plus tard, quand il commençait l’épreuve de la gloire, un petit nombre d’amis lui suffisait ; il était heureux de réunir autour de lui quelques intelligences associées à ses projets par une sympathie sérieuse. Ses vœux n’allaient pas au-delà de cette petite famille ; et s’il lui arrivait de rêver la multitude, ce n’était pas pour se placer au milieu d’elle, mais seulement pour espérer de la dominer un jour. Aujourd’hui cette famille est pour lui comme si elle n’était pas. Les amis qui se glorifiaient autrefois de ses confidences, sont perdus dans la foule qui grossit de jour en jour. Bientôt le poète est tellement blasé, qu’il ne distingue plus la saveur des louanges qui lui arrivent. Toutes les lèvres qui approuvent, toutes les mains qui applaudissent, ont pour lui une valeur égale, une égale autorité. Que dis-je ? Un inconnu empressé au panégyrique vaut mieux pour lui qu’un ami silencieux. Le poète, une fois entouré de la multitude, compte les suffrages au lieu de les peser ; son orgueil glouton ne peut se rassasier de louanges ; il lui faut chaque matin, à son réveil, un troupeau d’auditeurs ébahis, préparés à recueillir toutes ses paroles comme autant d’oracles ; qui le complimentent sur son œuvre de la veille, et même sur son œuvre du lendemain ; qui, sur le seul titre d’un livre encore à faire, le haranguent et le félicitent comme s’il avait conquis un royaume. La foule, en chatouillant à toute