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ou de blâme. Désormais il ne s’appartient plus. Sa volonté une fois réalisée, prudente ou étourdie, aveugle ou clairvoyante, est acquise à la multitude, et soumise irrévocablement au jugement le plus sévère. Aussi, dès ce moment, le poète devient de plus en plus grave, de plus en plus réfléchi. Il renonce aux aventures, et ne se décide pas au départ avant d’avoir reconnu la route où il va marcher. Il s’interdit le caprice comme une faute irréparable ; il se consulte long-temps avant d’agir, parce qu’il sait qu’en agissant il livre sa conduite à l’inexorable contrôle de la foule. Il surveille la destinée de son nom avec une anxiété, une sollicitude que rien ne peut ralentir ; il n’ignore pas que l’admiration est inconstante et rétive, et pour l’enchaîner il abrège son sommeil et entame sa liberté.

Mais la gloire, d’abord si sérieuse et si difficile à porter, se métamorphose et devient plus indulgente. Quand elle succédait à la lutte, elle exigeait du poète une résignation pleine d’angoisses ; en se familiarisant avec lui, en apprenant à le connaître, elle perd chaque jour quelques-unes de ses défiances, elle sourit et se déride ; enfin, elle change de nom et s’appelle la popularité. Dès qu’elle a reçu ce nouveau baptême, elle se montre pleine de prévenance et d’obséquiosité. Elle fait du poète son enfant gâté. Tout ce qu’il dit est bien dit. Chacune de ses paroles est une révélation ; chacun de ses projets est une preuve de sagesse. Chacun de ses caprices, si étourdi qu’il soit, est estimé à l’égal d’une volonté prévoyante. Il peut tout se permettre sans danger. S’il parle des choses qu’il ignore, s’il confond les hommes et les temps, s’il traite l’histoire comme un pays conquis, pas une voix ne s’élèvera pour l’accuser d’outrecuidance et de fatuité ; pas une voix n’osera le tancer comme un écolier paresseux et le renvoyer à l’étude. Il poursuivra sa route indolente au milieu des applaudissemens ; il lira dans tous les yeux l’unanime admiration que ses œuvres inspirent ; et à mesure que le bruit grandira autour de lui, à mesure que les louanges retentiront à ses oreilles, il oubliera sa première gloire, sa gloire sérieuse et inquiète ; il croira que ce qui est a toujours été. Certes, il faudrait une nature singulièrement forte pour résister à la popularité. À moins d’être habitué dès long-temps à compter chaque jour avec soi-même, à moins de préférer en toute occasion l’approbation silencieuse de sa conscience aux battemens de mains,